Traversée de la France, 1ère partie : de Hendaye à Saint Jean Pied de Port

Récit du 12 au 17 juillet 2020



30 secondes que nous marchons :


Près du phare d'Hendaye : vers l'ouest l'Atlantique à perte de vue ; au sud l'Espagne au-delà de l'embouchure de la Bidassoa ; au nord la plage de la ville,  la France qui présente sa grandiose côte jusqu'à la mer du Nord ; à l'est les collines vertes du Pays Basque, la France qui déroule ses magnifiques terres jusqu'à Menton, à l'extrême sud-est, à la frontière avec l'Italie...


Malgré la météo pour le moins maussade et nos sacs trop lourds pour les « Homo Modernicus » que nous sommes, la perspective de dessiner une ligne continue jusqu'à Menton par la seule pression de nos pas nous rend tout simplement heureux.


En guise de gong d'entrée dans la traversée de la France, l’orage a secoué Hendaye ce matin. Ça tombe bien, nous avons prévu une relative première petite étape pour évacuer en douceur les effets des apéros accumulés dans nos tissus corporels la dernière semaine avant le départ. Très vite nous sortons de la ville et entamons une série de up and down  dans la campagne basque vallonnée. Des vaches, des fermes, des bosquets,  des hirondelles, des haies... j'ai l'impression de me retrouver catapulté dans le bocage normand de mon enfance, à quelques centaines de mètres de l'Espagne. S'en suit pendant 2h une zone plus sauvage, envahie par les fougères ; puis, sans aucune espèce de transition, nous dévalons sur la crête d'Ibardin, une succession de supermarchés et de magasins de fringue flambant neufs. 


Aux vaches et aux fougères succède, en devanture d'un centre commercial, l'énorme boulard de Neymar, joueur du PSG aussi contestable que génial. Déjà son sourire sur le terrain me tord les boyaux… alors ici, dans cette réplique d'un dutyfree d’aéroport international posé sur une crête frontalière rurale,  je prends mes jambes à mon cou...  autant que la maison de 15 kg sur mon dos me le permet. Nous remontons une centaine de mètres de dénivelé et nous dénichons un emplacement idyllique pour le bivouac, sur une petite crête anonyme (et sans la vue sur la starlette brésilienne). 5 bonnes heures de marche depuis le phare du bout de France : soit l'étape n'était pas si courte, soit nous traînons comme une multitude de petits boulets les derniers apéros...

Voilà 3 jours que nous marchons :


Le Pays Basque, je le vois comme une succession d’images d'Épinal du milieu rural. Dans ce paysage de collines verdoyantes qui évoque davantage l'Irlande ou la Normandie, les pâturages côtoient les pentes à fougères délaissées par l'activité pastorale et les villages de quelques dizaines de maison 

rouge et blanche... le tout ponctué par les rubans de forêt de chênes et de châtaigniers dans le creux des vallons. Le paysage n'a rien de naturel, mais ici la main de l'Homme dessine une mosaïque harmonieuse, agréable à parcourir. Seules quelques voitures et quelques voies goudronnées nous

rappellent l'époque. Le reste baigne dans une ambiance des années 50.


Depuis Hendaye, nous faisons une confiance quasi aveugle au fameux GR10 (celui qui traverse toutes  les Pyrénées d'Ouest en Est). Une fois ne sera pas coutume, un sentier de grande randonnée nous sert de guide pour découvrir une région. Cela dit, la fréquentation reste limitée, excepté aux abords d'un sentier ou d'un village touristique. D'ailleurs, après Sare hier, plutôt tranquille, nous passons par Ainhoa. Élu parmi les plus beaux villages de France, il nous laisse pourtant indifférent. Trop de voitures dans les rues, une succession de boutiques pour visiteurs, peu de vie locale : Sare, moins réputé, ne souffre pour nous aucunement de la comparaison. Comme avec Neymar, la rançon du succès semble rimer avec une perte d'authenticité.


Après un petit ravitaillement en excellent gâteau basque (un délice), nous quittons le village pour un chemin de croix... au propre comme au figuré. Au propre car le chemin est parsemé de croix. Au figuré car la piste qui monte raide s'avère peu intéressante et une torture pour les jambes. Arrivés aux 3 larges croix flanquées chacune de leur Jésus, nos efforts pieux (voir peut-être notre allure de 

Christ portant leur croix... heu, leur maison sur le dos) sont récompensés par le retour du soleil et une vue dantesque. La côte atlantique s'étend à perte de vue vers le nord et le sommet de la Rhune, que nous avons côtoyés hier, domine la campagne basque verdoyante. Comme depuis 3 jours, 

l’atmosphère est rythmée par le tintement des cloches que trimballent souvent autour du cou les pottoks, ces petits chevaux basques semi sauvages qui arpentent les massifs en long et en large. 

Décidément, cette montagne appelle au recueillement...

Voilà 4 jours que nous marchons :


Réveil au bivouac, au col des Veaux, à cheval sur la frontière espagnole. Il pleut des seaux d'eau sur la tente. On patiente une bonne demi-heure en espérant un signe. Malheureusement, la bénédiction du chemin de croix ne semble durer qu'un jour... Légère accalmie : c'est le moment. Au pas de charge nous pactons notre sac et notre tente détrempée et partons dans le brouillard vers le petit village de Bidarray. La descente est vertigineuse, très raide, ça glisse ! Mais enfin, au bout de deux bonnes heures de cécité, nous passons sous la ligne des nuages. L'ambiance pour le moins humide et le relief 

me rappelle le Drakensberg, une chaîne de montagne en Afrique du Sud, excessivement belle et que nous aimons parcourir lorsque Juju vient me rejoindre en Afrique australe entre deux tours. Les parois de grès orange/rosées caractéristiques du relief basque tombent à la verticale et chaque 

parcelle de terre propice est recouverte d'une épaisse couche de végétation dont les fougères sont reines. 


Après cette matinée pluvieuse, la perspective de poser nos carcasses mouillées dans une 

gargote pour le déjeuner nous fait accélérer le pas lorsque nous retrouvons un chemin plus roulant en fond de vallée. Mais à Bidarray, à midi, un 15 juillet, portes closes ! Le petit magasin et les deux 

auberge-restaurants ne rouvrent qu'en fin d'après-midi. Bidarray, c’est l'anti Ainhoa. À défaut, les gradins du terrain de pelote basque, comme il y en a à chaque village, accueillent nos affaires trempées. Le soleil fait quelques apparitions, alors la quasi-totalité du contenu du sac se retrouve étalé autour de nous en train de faire chauffer une gamelle de nouilles chinoises. Les mauvais esprits pourraient nous faire passer pour des clochards... Certes, mais alors, pour paraphraser le livre de Jack Kerouac, des clochards célestes. Après les affres de la météo et une descente dantesque, nous 

goûtons ici, notre maison éparpillée autour de nous, un moment de félicité comme seul le trek itinérant peut en offrir. L'environnement et nos yeux scintillent, tous deux comme lavés par la pluie du début de journée. Au-delà du village, la majestueuse ligne de crête que nous foulerons demain montre désormais ses courbes. Oui demain, car c'est décidé, les clochards se trouveront un petit gîte pour la nuit afin de profiter des charmes et des bières de ce petit village qui nous tend les bras.

Voilà 5 jours que nous marchons :


La météo, tout comme la patronne du gîte, nous le promet : l'après-midi verra la couverture nuageuse se lever. Alors on laisse partir de bonne heure la dizaine de GRistes, on traîne un peu, convaincu d'être plus malin que tout le monde, que la longue ligne de crête de 10 km offrira un meilleur profil après que le soleil soit passé au zénith...


13h, sur la ligne de crête, à 1000 mètres d'altitude, le sandwich vissé dans la bouche, la veste et le coupe-vent fermés jusqu'en haut... Nous nageons en plein brouillard ! Pari perdu et une belle leçon pour le trek en Pays Basque : ne jamais attendre le beau temps, il risque de n'arriver qu'une fois reparti. Dommage, cette journée s’annonçait exceptionnelle, sur les bords de la montagne d'Iparla et ses falaises de plusieurs centaines de mètres. Par instant, le brouillard reflue et nous voyons les nuages cogner contre le flanc du massif à notre gauche. La vue doit être dantesque par beau temps. Quand le vent se met à souffler, les buffs enroulés autour du cou et remontés jusqu'au nez pour ne pas attraper froid, nous avons la désagréable impression d'exhiber la collection printemps-été à la mode cette année... celle du port du masque. Heureusement, les troupeaux de pottok, leurs cloches et leur relative liberté, apportent un peu de grâce à la journée. Installés depuis des millénaires dans les montagnes basques, ils connaissent et épousent le terrain à merveille. Bien qu'utilisés périodiquement par les Hommes, ils gardent une belle autonomie, comme peu d'autres chevaux en France. À l'image des équidés de Mongolie qui ne sont recueillis par les éleveurs nomades que 

quelques mois dans l'année, les pottoks m'évoquent un pont entre sauvage et civilisation, entre Humanité et Biodiversité.


En début de soirée, épuisés par la journée de brouillard et la descente vers le village de Saint-Étienne de Baigorry, nous succombons au charme d'une petite pizzeria. Devant un match de pelote basque, nous engloutissons sur les gradins notre excellente pizza comme des adolescents qui cherchent à se consoler d'une déception amoureuse. Sport, bière, pizza : rien de tel pour reprendre pied dans le 

monde réel après un épisode « traumatisant ». J'exagère... la journée fut tout de même une belle expérience, que ce match de sport local, dans le décor si caractéristique des villages basques de montagne, vient ponctuer d'une note plus gaie.

Voila 6 jours que nous marchons :


« Pourquoi vous croyez que le Pays Basque est aussi vert ? », répond si justement un caviste de Saint-Jean-Pied-de-Port chez qui nous dégustons un excellent cidre, à la question « il fait souvent ce temps-là en juillet ici ? ». Nous prenons conscience au jour 6 que nous ne sommes en réalité pas malchanceux... Nous marchons au cœur d'une chaîne de montagne sur laquelle vient buter l'influence Atlantique. Si l'ambiance en montagne est encore aujourd'hui toute irlandaise, il n'y a en fait rien d'étonnant là-dedans... et ce même si les maisons rouges et blanches et l'accent des locaux nous aiguillent sur la portée géographique, à cheval entre France et Espagne, de notre marche. En fait, c'est bien cette espèce de dichotomie entre les signes culturels très « Sud » et l'environnement naturel très « Nord » qui nous déboussole un peu. Plaisantant, un basque, croisé près d'Hendaye et qui réagissait à notre projet de traverser la France, nous déclarait « Mais vous n'êtes pas en France ici ! »... 6 jours plus tard, je comprends mieux le particularisme basque et l'attachement que peuvent porter ses habitants à leur région. Ce particularisme régional se manifeste en moi par ce déboussolement, par cette difficulté à savoir où je me trouve. Les villages ne ressemblent à aucun autre en France, le sport se pratique avec un manche « bizarre », les chevaux paissent en liberté sur les flancs de collines recouvertes de fougères, la bruyère violette tapisse le grès des massifs, 

l'humidité me fait transpirer comme jamais à moins de 20 degrés... Bretagne, Normandie, Afrique du Sud, Irlande, Espagne se bousculent dans ma tête au gré de notre pérégrination et pourtant, nous commençons bien notre traversée de la France par son extrême sud-ouest. Si voyager c'est la 

recherche d'une certaine perte de repère, alors le voyage commence bien !


Dans la montée vers le dernier petit sommet vers 1000 m qui nous fait basculer sur la ville de Saint-Jean-Pied-de-Port, nos repères se décentrent de la terre basque pour gagner les airs basques. Des dizaines de vautours fauves tournent dans le ciel nuageux. Jamais je n'en ai vu autant à un même endroit dans ma vie. D'une envergure de 2 mètres 50 en moyenne, les rapaces XXL emplissent le ciel 

de leur présence. Leur balai est hypnotisant, nous ramène par la magie de sa grâce à notre pauvre condition de marcheurs terriens. Sur un flanc de montagne couvert de graminées jaunes, nous avons même l'inestimable honneur de côtoyer de près 3 seigneurs des airs venus se reposer dans notre monde. À une bonne vingtaine de mètres du chemin, posés sur un rocher, les vautours à la tête blanche scrutent les environs, attendent le courant d'air ascendant qui les fera redécoller. La rencontre est magnifique car l' espace d'un instant, nous vivons au côté de ces énormes oiseaux au 

plumage brun et au long cou blanc dépourvu de plumes pour enfouir la tête dans les carcasses d'animaux morts. Deux mondes se côtoient pendant quelques minutes, dans le respect, dans le silence, et sans crainte... jusqu'à l'arrivée de la cavalerie !


Une flopée de randonneurs se suivant à la 

queue leu-leu débarquent, parlent comme s'ils s'étaient donnés pour mission d'emplir de leurs voix l'immensité de la montagne basque ! Le premier couple qui nous dépasse daigne à peine jeter un coup d'œil aux oiseaux car « Ah des vautours... Je veux voir des aigles moi ! ». Les suivants font à 

peine plus de cas des habitants des lieux, certains risquant quand même une rapide photo. Mais bon, pour eux, il ne faudrait pas casser le rythme de la montée et interrompre les discussions lancées depuis Saint-Étienne de Baigorry... en tout cas pas pour des vautours. Très vite les vautours partent, 

incommodés par tant de commentaires anthropocentrés. Comme ces derniers, l'irruption des marcheurs nous a paru d'une violence toute civilisationnelle, celle de l'indifférence aux autres formes de vie. Quel marcheur irait gueuler de la sorte dans une église ou un musée ? Alors pourquoi tant de 

mépris, même involontaire, pour le repos des vautours, qui plus est sur leurs terres ? Pratiquée de la sorte, la randonnée reprend malgré elle tous les ingrédients du colonialisme européen, autocentré, maître partout où il passe. S'il est devenu aussi dur d'observer la faune en France, c'est peut-être que nos colocataires vivant non humain n'ont plus à cœur de démontrer leur grâce (ainsi que la peur de se faire plomber le c...) devant l'indifférence humaine. Tels des artistes incompris, ils préfèrent se retirer loin de nos regards désinvoltes, loin de nos discussions dont ils ne sont jamais le sujet. 


Pourtant, à entendre nos amis GRistes, ils sont là pour marcher dans la « nature »... Mais de ce que je vois, ils marchent comme des spectateurs qui iraient au cinéma avec des boules Quies dans les oreilles et un bandeau sur les yeux... Bref ! Je ne leur en veux pas, j'étais comme ça (et je le suis 

encore trop souvent) il y a peu... Mais quel dommage, quelle perte d'enrichissement dans la randonnée.


À Saint-Jean-Pied-de-Port, l’affluence estivale bat son plein dans le cœur de cette jolie cité 

médiévale, haut lieu de passage du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. C'est beau, mais un peu trop touristique à notre goût. On est loin de l'ambiance bon enfant, non mercantile, de Bidarray ou de Saint-Étienne de Baigorry. Alors après un verre de cidre, un conseil météo et un approvisionnement en charcuterie et fromage au piment d'Espelette pour la prochaine semaine qui s'annonce sauvage, nous quittons la ville et allons nous dénicher un bivouac à 1h de marche, dans la forêt. Demain, la météo annonce beau temps... Espoir, espoir !

Max


Et pour parrainer notre marche en faveur de l'association Humanité et Biodiversité

Nous vous rappelons qu'à l'occasion de cette aventure nous voulons promouvoir une association de protection de la nature qui nous paraît aller dans le bon sens. Sur cette première partie de 6 jours nous avons parcouru 109 km... Et avons déjà récolté 160 euros qui sont reversés automatiquement à Humanité et Biodiversité ! Merci aux donateurs, et avis aux prochains kilomètres à parrainer, les 160 km seront très vite dépassés (voire déjà dépassés à l'heure où j'écris ces lignes)... Cliquez sur le lien suivant ou sur le logo pour vous rendre sur la page de collecte de dons https://www.helloasso.com/associations/humanite%20et%20biodiversite/collectes/1-1-km-pour-une-traversee-de-la-france-a-pied


Merci !


J1 : Phare d'Hendaye à la Redoute des Emigrés (385m) ; 5h15 ; 17km ; +900m -515m

J2 : Redoute des émigrés au camping Tellechea (30m) ; 6h ; 18km ; +700 -1085m

J3 : Camping Tellechea au col des Veaux (550m) ; 5h15 ; 20km ; +700m -200m

J4 : Du col des Veaux à Bidarray, gite AireZebal (150m) ; 3h10 ; 11km ; +250m -650m

J5 : Bidarray à St Etienne de Baigorry, camping municipal (155m) ; 6h40 ; 20km ; + 1350m -1245m

J6 : St Etienne de Baigorry à la rivière 3km après Caro (230m) ; 6h30 ; 23km ; + 1100m -1025m

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Commentaires: 1
  • #1

    Nathalie (mercredi, 29 juillet 2020 11:00)

    Bravo à votre initiative. Je viens de parcourir le HRP de Cauterets à Pau, nous y avons trouvé le soleil malgré une météo pessimiste du 20 au 25 et je suppose que comme nous vous aurez trouvé le soleil, mais pas le réseau pour l'envoi de photos et mail...
    Bonne continuation,
    Nathalie