Traversée de la France, 3ème partie : de Borce au Gave d'Arratille

Récit du 25 au 28 juillet 2020


Voilà 14 jours que nous marchons :


Il faut l'avouer, quitter ce matin notre petit nid douillet n'est pas évident. Comme deux jeunes oiseaux qui doivent sauter dans le vide pour la première fois, nous descendons à reculons les marches de notre petite maison d'hôtes. Après la dure mise en jambe de 12 premiers jours de traversée sans journée de pause, les deux nuits passées dans le petit village pyrénéen de Borce, pas touristique pour un sou et ultra reposant, nous on fait miroiter de nouveau les facilités du monde moderne. Alors avant de prendre notre envol pour le Parc National des Pyrénées et ses cols à plus de 2000 m d'altitude, nous chérissons les bonnes bières du bistrot, le magret de canard au dîner, le jus d'orange pressé du petit-déjeuner, la douche chaude et les draps propres comme autant de douceurs qu'offre un oiseau à ses oisillons dans leur nid.


Mais certainement comme des juvéniles qui découvrent pour la première fois leur environnement, nous sommes dans le même temps impatients de parcourir les Hautes-Pyrénées, de bivouaquer au bord des ruisseaux ou sur les crêtes, de côtoyer les sommets de plus de 3000 mètres. Le confort ça a du bon, mais on pourrait se ramollir et oublier vite les innombrables autres "conforts" de la vie au grand air ! D'autant que nous arrivons aujourd'hui dans le premier parc naturel de la traversée, qui plus est l'un des 8 parcs nationaux français de la métropole.

En guise d'envol, nous avons le droit à une montée de près de 1600 m de dénivelé pour passer le col d'Ayous... Tu parles d'un envol ! Les jeunes aigles ont bien de la chance, ils n'ont qu'à se laisser tomber du lit. Du col, les 1600 m avalés avec nos sacs lestés de 6 jours de nourriture sont oubliés sans difficulté devant le panorama sur le Pic du Midi d'Ossau, monument naturel sublime car 

dominant sans conteste les alentours de ses 2884 m d'altitude. À l'instar de celles d'Égypte ou d'Amérique centrale, la " pyramide rocheuse" d'Ossau attire les visiteurs avides de dépaysement... Les randonneurs sont légion de l'autre côté du col. Arrivant depuis un accès bien plus aisé que le nôtre, les petites fourmis s'activent autour des lacs d'Ayous, 200 m de dénivelé plus bas que le col, comme autour d'un morceau de gâteau tombé par terre. Arrivés au niveau des lacs, la surprise est cruelle pour nous qui attendions le parc national comme un havre de nature : des dizaines de tentes bordent la rive ouest de la magnifique étendue d'eau !



"Bienvenue à Ayous Plage, au cœur des Pyrénées : ici vous pourrez rompre la quietude millénaire de ses eaux calmes et translucides, pourrir l'atmosphère des marmottes et autres vautours en criant et 

en écoutant de la musique, acheter et consommer en toute liberté des bières, sodas et autres barres chocolatées grâce à notre partenaire du refuge d'Ayous (à 200 m de la plage, sans risque d'y aller pour les enfants), etc." Je plaisante mais les offices du tourisme de la vallée ne vendent-ils pas de la 

sorte cet espace de nature ? Au début, clairement, on est quelque peu outré. Les tentes sont montées bien avant 19h (il n'est que 16h30, combien seront les tentes à 20h ??), certains ramènent du bois pour faire un feu, d'autres leur chien... en gros tout ce 

qui est interdit dans le parc national pour garantir l'intégrité et le calme des lieux.

Puis, quelques mètres après avoir passés le refuge (ou le bar plutôt ?), un panneau nous explique la raison de l'existence du "camping d'Ayous Plage" : nous étions sortis du parc national peu après le col, nous y rentrons de nouveau. Toute la magie administrative se déroule devant nos yeux : à 2 m près, dans un immense espace de montagne, on a le droit à un peu près rien sauf marcher, ou à un peu près tout... sauf peut-être de tuer l'occupant de la tente voisine si il ronfle !


Bon, autant j'aime faire la fête en ville, autant l'ambiance camping ici ne me sie guère. On pousse un peu, on remonte une petite centaine de mètres de dénivelé puis on se déniche un coin délicieux pour bivouaquer, loin d'Ayous Plage. Pas de vue sur le lac, "quel dommage", mais une petite crête dont le 

tombant donne sur la vallée pastorale du Gave de Bious en contrebas et offre une vue imprenable, "sans vis-à-vis", sur le Pic du Midi d'Ossau. 

La soirée est toute trouvée : adossés à nos sacs, nous lisons puis cuisinons, avec pour spectacle la lumière qui change constamment et fait passer la pyramide d'Ossau par tous les dégradés d'orange. La météo annonce une nuit claire, alors nous 

n'hésitons pas une seconde : ce bivouac mérite d'être passé à la belle étoile. La tente restera dans le sac pour cette nuit !

Voilà 15 jours que nous marchons :


Qu'y a-t-il de plus beau dans la vie que de se réveiller au grand air, alors que les aurores teintent le ciel de nuances de violet et de rouge et que le silence est d'or ? Rien ! Sauf que... pour le silence c'est un brin compliqué dans les Pyrénées. Depuis Hendaye, même jusque dans les coins les plus paumés, nos amis ovins, bovins ou équidés se font un malin plaisir de faire tinter les cloches au plus près de notre bivouac. Les premiers jours c'est sympa ; ça imprime une ambiance pastorale qui résonne comme un retour aux sources. Puis, comme une musique que l'on entend trop souvent à la radio, ça finit par agacer. Ces bestioles ne s'arrêtent donc jamais de brouter, surtout à 6h30 du matin ? 


Comme pour mieux accepter les multiples cloches autour du cou qui rythment nos soirées et nos réveils, nous achetons en passant un bon bout de fromage de brebis directement chez le producteur, dans le fond de la vallée qui s'étirait à nos pieds cette nuit.

Le passage à midi par le refuge de Plombie et le monde sur les chemins nous confirment l'impression laissée hier en fin d'après-midi à Ayous. Il y a beaucoup de monde dans et aux alentours du parc national. Après avoir passés notre dernière semaine de marche le plus souvent seuls face à la montagne, ça fait bizarre ; mais... quelque chose nous dit, vu la topographie de la carte, que les 3 

prochaines journées seront plus calmes. 


Ce soir, déjà, après que les derniers promeneurs soient redescendus en vallée, le vallon d'Arrious retrouve une ambiance apaisée. Nous en profitons pour goûter aux plaisirs glacés d'une toilette dans le ruisseau, quasi à poil, avant le dîner et une nouvelle 

nuit à la belle étoile. Merci la météo de nous offrir ces nuits magiques sous les milliers d'étoiles !

Voilà 16 jours que nous marchons :


Quelle étape ! Là, ça y est, pour le coup on est vraiment au coeur des Pyrénées. Arremoulit et ses lacs splendides, un grand névé avant le col du Palas, de la caillasse et très peu de sentiers, le passage en semi escalade du port de Lavedan (avec 15 kg sur le dos), la vallée idyllique de Larribet, ses blocs rocheux, ses pins, ses ruisseaux... Autrement dit la carte postale multi-images des Hautes-Pyrénées 

en une journée ! Une longue journée : près de 8h de marche effective (donc sans compter les pauses) pour effectuer la bagatelle de 26 km... euh non, 16 km ! C'est que marcher une bonne partie de la journée hors sentiers n'aide pas à avoir une "bonne" moyenne horaire. 2 km/h... et encore ce n'est pas si mal avec une maison sur le dos !


Un brin fatigués (voire bien morts même), nous nous arrêtons dans un fond de vallon à l'ombre, vers 18h. Mais peu satisfaits de la literie, nous décidons en fait d'aller voir un peu plus loin si des coins plus plats pourraient accueillir nos dos fatigués. Une décision bien heureuse car quelques centaines de mètres plus haut, nous tombons nez à nez avec un troupeau d'isards, animal emblématique des Pyrénées, mais pas si évident à observer de près.

Malgré la proximité (une trentaine de mètres), nous restons à bonne distance pour ne pas les effrayer. Comme son cousin des Alpes, le chamois, l'isard a tendance à déguerpir à notre approche (ou en tout cas ça a été le cas les deux ou trois fois où nous en avons déjà croisé). Là, au contraire, ils sont en groupe d'une petite dizaine en train de se nourrir dans le fond du vallon de la Gave d'Arrens, 

relativement confiants. Nous avançons à pas feutrés, chuchotons, nous arrêtons, les observons. Ils mangent, jouent, nous regardent, mangent de nouveau. Nous comptons sur l'imprégnation pour ne pas leur faire peur. Doucement, très doucement, mais sûrement, le groupe semble accepter notre 

présence. De moins en moins d'isards s'enfuient à notre approche, jusqu'à ce que nous décidions de poser notre maison à leurs côtés, sur un emplacement pas super plat mais... qui n'a jamais rêvé enfant de dormir à l'intérieur d'un zoo ?


Pendant que nous déroulons notre routine du soir (changement de vêtements, montage de tente, préparation de la popote), nous découvrons petit à petit que le groupe d'une dizaine se révèle plutôt d'une trentaine. Beaucoup étaient encore cachés à notre vue derrière les replis du vallon, d'autres descendent comme des "cabris" de la pente vertigineuse pour rejoindre l'aire de pâturage. La dextérité avec laquelle ils dégringolent la montagne ferait pâlir le meilleur des trailers. D'ailleurs à quoi bon vouloir aller le plus vite quand le meilleur des hommes est forcément moins bon que le plus pataud des isards ? Se réinsérer dans la toile du vivant, et la compétition semble tout de suite dérisoire, non ? 


Se réinsérer dans la toile du vivant... c'est bien ce que l'on tente de faire depuis 2 

semaines sur ce début de traversée. On photographie les plantes, on tente d'identifier aussi bien les végétaux que les animaux, on prend le temps autant que possible pour observer les vautours, les martinets et autres oiseaux, etc. Mais ce soir (et ce même si les iris, ancolies, graminées, digitales et toutes les fleurs des Pyrénées nous ravissent chaque jour), au beau milieu de ce troupeau d'isards, c'est franchement spécial ! Habitués à notre présence, les animaux sauvages partagent leur vie avec la nôtre, sans presque aucun filtre, sans aucune barrière physique entre nous. Et ça, sur une durée de 3h, ce n'est pas commun... Nous sommes franchement vernis. Nous buvons notre soupe sur un rocher pour dominer le groupe ; les femelles et leurs petits sautent le ruisseau dans une grâce inégalable, les mâles se "cherchent" en grognant la tête relevée, les jeunes tentent des acrobaties sur 

rocher...


Par cette rencontre, nous sommes passés pour moi d'une expérience de paysage à une expérience de nature. Le parc national, ses tableaux naturels exceptionnels, les photos non moins exceptionnelles, les centaines de promeneurs chaque jour sur les sentiers... c'est bien. Mais quand le paysage magnifique commence à vibrer au rythme des facéties des isards, il devient sublime, il s'incarne. Il prend vie, tout simplement. La carte postale s'anime. Nous ne sommes plus nous, Justine Liothier et Maxime Lelièvre, "maîtres du monde" dans les paysages des Pyrénées ; nous sommes nous, Justine Liothier et Maxime Lelièvre, de pauvres petites carcasses fatiguées au cœur d'un tourbillon de vie qui nous dépasse, qui nous transcende, qui ne dépend aucunement de nous (sauf à ne pas respecter ce tourbillon en s'approchant trop près au risque de le briser). Ça peut paraître accessoire, mais mine de rien, "rentrer" comme cela dans la nature sauvage, en faire l'expérience sans autres moyens que nos cinq sens et nos pas, c'est absolument apaisant.


Romain Gary, dans son roman culte Les Racines du ciel, parle à ce propos de "marges" ; autrement dit d'instants, de lieux ou de rencontres qui nous font sortir de notre identité sociale, cloisonnée et rapetissee par les codes sociaux, pour accéder à une forme de liberté plus "pure". Ces isards, occupés à leurs tâches dans ce vallon sauvage et tout juste intéressés par notre présence, font figure de marge bienvenue. L' espace de cette soirée, nous goûtons à leur liberté, à notre liberté d'être restés ici, dans le respect de leur cadre de vie. L'expérience de paysage, ce sont les temps entre deux refuges, ce sont le nom des pics et des vallées, ce sont les discussions sur la difficulté d'un chemin, ce 

sont même parfois des selfies ou "Ayous Plage"... L'expérience de nature, c'est l'inverse, c'est la marge, c'est la liberté de s'asseoir 3h pour partager un instant de vie sauvage, c'est oublier quelque temps le vernis humain sur la Terre.

Voilà 17 jours que nous marchons :


Ce matin, je sors de la tente tel un ours de sa tanière et effraie malgré moi 5 isards restés dans les parages. L'imprégnation s'est évaporée en même temps que l'orage, les "antilopes" des montagnes regagnent à une vitesse éclair une zone rocheuse où je ne pourrais les atteindre à coup sûr.


Frais comme des gardons malgré le début de nuit mouvementé, nous passons le col de Cambalès à 2700 m comme une (presque) simple formalité... Il nous a fallu attendre 2 semaines de marche pour retrouver un semblant de jeunesse et plus ou moins oublier notre maison sur le dos.


La descente vers le refuge de Wallon (en rénovation cette année) est une véritable merveille. La première partie consiste entre une alternance de petits sentiers et de petits sauts de rocher en rocher. Derrière nous, la muraille pierreuse que nous avons passés à Cambalès semble pourtant infranchissable. Des centaines de cols vraisemblablement déjà franchi dans ma vie, mais toujours cette impression d'humilité face aux massifs... et d'autant plus devant celui-ci ! 

Puis après les impressionnants pierriers et leur chaos, nous gagnons une espèce de plateau qu'on croirait sorti tout droit de l'imagination d'un peintre. Les courbes des roches s'adoucissent jusqu'à devenir arrondies et les petits lacs se succèdent. Pendant des milliers d'années, l'action d'immenses glaciers a poli la roche ici. Aujourd'hui nous sommes les témoins admiratifs de leurs actions passées, s'émerveillant devant les dômes de granit et les lacs d'altitude qui résultent de leur poids colossale et de leur mobilité. Louvoyant entre les splendides parois rocheuses et les étendues cristallines, c'est un peu comme si ils étaient encore là...


Pour cette nuit, la belle étoile sera une nouvelle fois proscrite. Sur les bords du Gave d'Arratille, à 2000 mètres d'altitude, la brume ne cesse de venir nous harceler, arrive du fond de vallée, puis repart, puis revient cacher les sommets... Il est plus sage et plus "sec" de dormir sous une vraie toile ce soir.

Très vite (ou enfin le plus vite possible... les journées passent vite), vous pourrez suivre la suite de notre traversée d'ouest en est du parc national des Pyrénées.

 

J14 : Borce à la crête le lac Gentau et Bersau (2070m) ; 6h ; 17km ; +1800m ; -390m

J15 : Crête le lac Gentau et Bersau au ruisseau d'Arrious (1820m) ; 6h15 ; 16km ; + 1150m ; -1400m

J16 : Ruisseau d’Arrious au ruisseau proche de la troue de Labassa (1740m) ; 7h45 ; 16km ; +1100m ; - 1180m

J17 : Ruisseau proche de la trou de Labassa au Gave d'Arratille (1990m) ; 6h30 ; 16km ; +1200m ; - 950m

 

Max

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