Traversée de la France, 4ème partie : Du Gave d'Arratille à Aragnouet

Récit du 29 juillet au 2 août


Voilà 18 jours que nous marchons :


Cette matinée couverte nous réserve 2 cols pour le prix d'un. Ce n'est pas plus cher et on passe une belle heure en Espagne sur un sentier quasi à niveau entre le col d'Arratille et celui des Mulets. Derrière ce dernier, retour côté français et surprise de taille : le Vignemale, plus haut sommet français des Pyrénées ! Redescendus en fond de vallée au refuge des Oulettes de Gaube, à 2150 m, 

j'ai comme une vision himalayenne dans les yeux. La face nord du Vignemale, composée d'immenses parois de granite et des glaciers du Petit Vignemale et des Oulettes (en fin de vie), rappelle les édifices himalayens qui bouchent l'horizon de leur grandeur au bout de vallées interminables. Bon, certes, nous ne sommes pas à 4000 m devant un sommet culminant à 8000 mètres, mais tout de même... l'impression laissée par cette large vallée verte et marécageuse qui se déroule jusqu'à buter sur plus de 1000 m de glace et de granite clair a de quoi laisser pantois. Et nous le sommes ; et nous apprécions à sa juste valeur la chance que nous avons de déjeuner au refuge avec cette perspective qui évoque les toits du monde (et qui "modestement" déjà fait figure de toit des Pyrénées). À l'instar de l'orage éclair deux jours plus tôt (mais en notre faveur cette fois-ci), le ciel vire de la grisaille au bleu azur en moins de 15 minutes, comme si l'on ne sait quel géant espagnol soufflait sur les nuages pour les repousser sur les basses vallées françaises, plus au nord. Le panorama n'en est que plus jouissif !

Et que dire de la descente ? Depuis 3 jours, les paysages se révèlent vraiment fantastiques et chaque vallée recèle un caractère particulier, dévoile un paysage à chaque fois différent. C'est ce point qui me surprend le plus dans le parc naturel, cette diversité exceptionnelle... La dégringolade vers la vallée d'Ossoue offre un nouvel accord magnifique à cette symphonie pyrénéenne hors du commun. 

Certains vallons nous ont déçu par le surpaturage qui ne laisse que quelques herbes jaunies au ras du sol... 

Là, les iris des Pyrénées et consorts embellissent de dizaines de couleur les pentes. Après 2300 mètres d'altitude, les fleurs reviennent en force dans les prairies. C'est un pur ravissement pour les yeux, mais encore plus pour l'âme. Les 1250 m de dénivelé positif de la matinée ne pèsent plus bien lourd dans les jambes quand l'esprit se met au diapason de la beauté terrestre.


Enfin presque... car Juju se tord la cheville. Habituée de la chose, on ne s'inquiète pas, et puis tant que c'est chaud ça va. Ce n'est pas la première fois depuis le début de la traversée, mais sur ce coup-là elle a eu peur. C'est décidé, demain nous couperons à Gavarnie pour offrir aux chevilles de Juju un repos mérité après les innombrables séries de saute-mouton sur la caillasse pyrénéenne. Comme souvent, nos corps joue aux vases communiquant. Les 10 premiers jours se sont plutôt mes pieds qui ont souffert, alors que Juju semblait entraînée comme une traileuse. Depuis que je vais mieux, patatra, les chevilles twistent sur les cailloux. 

Une bonne chose à faire, se baigner dans le lac à notre arrivée sur notre emplacement de bivouac encore génial aujourd'hui. L'eau froide devrait "raffermir" les articulations... mais pour ça, encore faudrait-il rester plus d'1 minute 30, n'est-ce pas Juju ? J'avoue, je ne ferai pas plus de 2 minutes également, l'eau descendant de la haute montagne étant... comment dire... "fraîche". Elle ne raffermit pas que les chevilles...

Voilà 19 jours que nous marchons :


Pour ce matin, on prend l'option "feignasse" ! Nous descendons sur le village très touristique de Gavarnie par le fond de vallée en suivant la piste, puis la petite route. Les chevilles étant un bien aussi précieux pour le marcheur que les mains pour un handballeur, on ne prend pas le risque de passer par la variante alpine.

À Gavarnie, nous goûtons aux joies de l'été 2020 spéciale Covid. Les dortoirs du gîte, de 6 lits, sont cette année proposés en mode privatif. Pour un prix un peu plus élevé, nous profitons d'une chambre de 6 lits pour nous seuls. Sacré coronavirus qui pour préserver la distanciation sociale crée la non présence sociale. On ne s'en plaindra pas... aucun ronfleur ne viendra rompre la quiétude de la 

nuit.


Une journée et demi de repos à Gavarnie : le temps de voir défiler des milliers de randonneurs vers le célèbre cirque (sur lequel nous disposons d'une vue imprenable depuis notre dortoir de luxe) qui bouche la vallée au sud ; et surtout de manger autre chose que des sandwichs, des pâtes et de la semoule. La pizza périgourdine (noix, magret de canard, lard, roquefort) restera à ce titre dans les annales de la traversée ! Oui oui, je sais, ce n'est pas très original la pizza ; mais bon, après 6 jours de crapahutage et de bivouac en haute montagne, on n'a pas inventé mieux pour se refaire une santé (ou un type de santé en tout cas). Le midi, en pause, on se gave de melon et de jus de pomme pour 

compenser les vitamines en carence... Encore que, le plein de vitamine N (pour Nature) ne suffit-il pas pour compenser vitamines C et autres ?

Voilà 22 jours que nous marchons :


Le mauvais temps serait-il en train de nous rattraper ? Notre arrivée hier au hameau de Heas (très petite localité coincée au beau milieu des massifs abrupts, à la vieille chapelle pittoresque), sous le brouillard, nous fait craindre que les Pyrénées revêtent de nouveau leurs habits basques. Une habituée du coin confirme que nous avons eu beaucoup de chance pendant ces deux dernières semaines ; il est assez rare que le temps soit aussi ensoleillé, aussi longtemps...


Ce matin, nous débutons la longue montée vers la Hourquette (nom local ancien désignant le col) de Heas sous le ciel bleu, mais avec le brouillard dans le dos qui remonte du fond de vallée. Peu après la 

cabane de l'Aguila et sa fabuleuse fontaine/oratoire de la Sainte Famille, le manteau de gouttelettes en suspension nous rattrape, nous enveloppe, puis se déchire en lambeaux. Les rayons du soleil encore rasants, qui passent tout juste au-dessus de la grosse bute qui nous barre l'horizon vers l'Est, éclairent les lambeaux de brume dansant tout autour de nous dans l'air calme du petit matin. Un arc-en-ciel, d'abord discret puis bien marqué, colore par bribes les gouttelettes légères. 


Je suis scotché ! Dans ce cirque montagneux, le timing, la rencontre parfaite entre la brume, le soleil, l'air et nos yeux ébahis offre un spectacle qu'on n'oserait à peine intégrer dans un film d'animation, 

de peur d'en faire trop. Rarement, très rarement, je n'ai vécu de moment aussi beau ! Juju, un peu plus haut dans la pente, me lance un "T'es bloqué ?!", comme lorsque je prends "trop" de temps pour profiter des paysages. "Un peu oui". En plus, la belle gosse me fait une nouvelle offrande céleste... À contre-jour avec son grand sac sur le dos, l'appareil photo vissé sur l' œil, la silhouette de Juju est embellie par les graminées dorées et la fine brune qui donnent un air de conte à la scène. Comme une évidence qu'elle devait être là, à cet instant précis, devant moi... ne serait-ce que pour la photo et la magie qui en ressort.

Bon... mais ce n'est pas tout, il faut monter, d'autant que les nuages semblent pour l'instant coincés vers 2000 m d'altitude. Nous entamons une sorte de "course-contre-la-brume" : nous grimpons en espérant qu'elle montera moins vite que nous. Même si la montée manque un peu de fleurs et d'animaux, les 300 derniers mètres se révèlent un délice. Le panorama sur les hauts massifs pyrénéens (d'ouest en est le Vignemale, la brèche Roland au-dessus du cirque de Gavarnie, le Mont Perdu en Espagne) est d'autant plus incroyable que la vallée à nos pieds se cache sous une épaisse mer de nuages. Parfois, des "échappées" brumeuses nous rattrapent, obscurcissent légèrement les environs, puis refluent très vite plus bas. Poser notre sac sur la Hourquette de Heas, à... m d'altitude, 

nous donne la fierté de passer la ligne d'arrivée en vainqueur. La brume n'aura pas gagnée le col avant nous, nous pouvons jouir de la vue... rien que pour nous, il n'y a pas foule sur cette itinéraire.


Côté est du col, la mer de nuages se trouve à quelques dizaines de mètres de dénivelé. Tout autour de nous, seuls les sommets et les crêtes sortent la tête de l'eau. On y voit à des dizaines de kilomètres à la ronde. La Hourquette ne dessinant qu'une petite brèche dans laquelle on tient à peine à deux, nous 

sommes littéralement sur un gros fil rocheux suspendu dans le ciel.

Dire que certains paient des milliers d'euros pour voler en business... pendant que nous nous installons en première classe, sur notre Hourquette de rêve, pour déguster un excellent fromage de brebis, du pain aux 

céréales, pour contempler le ciel et les têtes rocheuses qui pointent le bout de leur nez. Quelques martinets frôlent la crête, passent à une vitesse folle à moins d'un mètre de nous. À 2600 m, ces chorégraphes des airs jouent avec les reliefs pour chasser tout petit être vivant qui vole encore ici. Des lézards, peut-être vexés que nous leur ayons piqué la place en 1re classe, prennent un malin plaisir à parcourir nos affaires sans aucune espèce de pudeur. Chaussures, sacs, chaussettes qui sèchent... aucunes de nos affaires n'échappent à leurs agiles escalades. Même au ciel, la vie s'ebat dans toute sa grâce.


Je parlais de "marges" dans le précédent récit, comme d'instants ou d'endroits qui nous catapultent hors de notre "être social". Romain Gary, l'inventeur de ce terme, serait certainement d'accord pour qualifier notre 

déjeuner Hourquette de marge, en ce qu'il nous propulse pendant une heure au-delà du monde moderne, à mille lieues de nos préoccupations civilisées. L'arc-en-ciel d'abord, puis la mer de nuages sur un fil, le 

sandwich en bouche et le vivant qui s'exprime... cette demi-journée tient du miracle ; ou plutôt tient de la magie que nous sert sur un plateau (comme en business) les marges. C'est extatique : là-haut, devant la splendeur du ciel, rien ne peut nous atteindre...


... à part peut-être le brouillard qui remonte doucement mais sûrement. Comme pour tout vol, il y a un atterrissage. La descente vers le plan d'Aragnouet se fait dans la plus pure opacité. On n'y voit rien à plus de quelques dizaines de mètres ; et comble de malheur, le sentier s'évanouit après la Hourquette de 

Chermentas. C'est que le coin est vraiment très peu fréquenté, les sentiers finissent par disparaître. Après 500 m de dénivelé à tâtons, cherchant sous nos pieds et sur l'écran de notre téléphone un signe d'espoir en forme de chemin ; après 500 m de dénivelé à descendre comme on peut à travers les alpages... nous retrouvons un large sentier qui nous fait sortir du Parc National des Pyrénées, direction le plan d'Aragnouet.


Ici, nous ne sommes plus dans la marge mais bien au centre du cahier. Les SUV filent à toute vitesse sur la route qui mène à la station de Piau-Engaly et nous décidons de nous arrêter dans un gîte de bord de route au regard de la météo peu engageante. 70 € la chambre sommaire, sans draps ni serviettes, sans charme, sans petit-déjeuner : une pépite ! Trois heures auparavant, nous étions à la marge, gratuitement au paradis...

J18 : Gave d'Arratille au lac d'Ossoue (1850m) ; 7h15 ; 18km ; +1250m ; -1390m

J19 : Lac d'Ossoue à Gavarnie, gite Oxygène (1400m) ; 2h30 ; 10 km ; +0 m ; -450 m

J20 : repos à Gavarnie 

J21 : Gavarnie à Héas, camping le Cairn (1530 m) ; 6h15 ; 19 km ; +1100 m ; -970 m

J22 : Héas à Aragnouet (Fabian), gite Founga (1100 m) ; 7h30 ; 22 km ; + 1250 m ; - 1680 m


Max

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Commentaires: 1
  • #1

    henri.hego@wanadoo.fr (mercredi, 19 août 2020 20:46)

    On a fait aussi en autonomie complète de la Pierre st Martin a luz st Sauveur , le gr 1
    sur 15 jours 10 jours de flotte merveilleux souvenir