Traversée de la France, 8ème partie : De Labastide-Rouairoux au Caylar

Récit du 24 au 28 août


Voilà 44 jours que nous marchons :


44 jours que nous marchons... Ça commence à avoir de la gueule, non ? Même si on ne fait pas ça pour le chiffre ou la gloire, il y a forcément un brin de fierté à se dire que nous ne nous déplaçons qu'à la force de nos jambes, en autonomie, depuis Hendaye, depuis le 12 juillet. Dans les Pyrénées, nous n'avions pas encore la franche impression de traverser la France. Tous les jours ou presque, des gens croisés ici et là nous demandaient " Ah vous aussi vous traversez les Pyrénées ? ". " Non la France ! ". Maintenant, dans le Massif Central, nous sommes au cœur de la France... autrement dit au centre, comme son nom l'indique.


Aujourd'hui, en quittant le petit nid douillet de la chambre d'hôtes, les jambes nous démangent, et ce malgré les quelques kilos en plus dans la cuisine de notre maison portative. Nous partons pour 5 jours sans croiser le moindre moyen de se ravitailler ; pour 4 nuits en bivouac nature... Ça pèse ! Mais l'ambiance de fond de vallée de Labastide Rouairoux commence à nous fatiguer. Des voitures, des camions, du béton... Une pizza... Des voitures, des camions, du béton... Une pizza... Une finale de Ligue des Champions perdue et un joueur de 222 millions d'euros en dessous de tout. Il faut marcher dans la nature pour oublier !


La journée se passe essentiellement sous les bois, dans une alternance de forêts splendides et de forêts plus " commerciales ". Toutefois, étant dans le parc naturel régional du Haut-Languedoc, le paysage forestier est plus riche que sur le versant nord de la Montagne Noire. Quel bonheur de réentendre les oiseaux sans autre pollution sonore... Si ce n'est celle du sac de Juju qui couine plus que jamais. 44 jours et nous n'avons toujours pas trouvé une solution à ce problème qui par moment m'exaspère. Est-ce la raison pour laquelle on ne surprend pas beaucoup de chevreuil depuis Hendaye ?

Au col des Bœufs, un événement marque notre marche itinérante : au loin, vers l'Est, nous distinguons la Méditerranée. Il y a un mois et demi nous quittions les rivages de l'Atlantique... et nous voilà à crapahuter sur les hauteurs méditerranéennes. Un autre monde ? Pas tant que ça si on en croit les landes à bruyère qui embellissent le sol de violet, aux abords du Saut de Vezoles. Comme sur le versant sud de la Montagne Noire, le paysage a des allures de Pays Basque. Nous qui pensions que la bruyère était l'apanage des influences océaniques, nous en avons pour notre grade. On apprend, doucement... À notre décharge, nous n'avons arpenté ces régions qu'au printemps, lorsque les bruyères ne fleurissent pas encore. Et les bruyères non fleuries, ce ne sont que des buissons " insignifiants ".

Nous plantons la tente près du lac de barrage de Vezoles, pour un repos mérité, après 26 km et une étape à plus de 850 m de dénivelé positif.

Voilà 45 jours que nous marchons :


On rêve de cette étape depuis un petit moment car elle nous amène vers un massif somptueux, celui du Caroux. Mais avant le rêve, le cauchemar : des kilomètres et des kilomètres de larges pistes forestières sur le GR7. Autant la veille ça faisait du bien de renouer avec la forêt, autant là ça devient franchement épuisant de n'avoir pour seul horizon que des arbres. D'autant que de larges pans du massif sont couverts par des plantations d'épineux datant de l'après-guerre qui n'attirent guère les pensées romantiques. 

C'est certes moins désert biologiquement que dans une forêt à cycle de vie court, mais la vision de ces arbres plantés en rangs d'oignon fatigue à la longue.


Et dire que nous sommes dans un parc naturel régional. Je comprends tout à fait la logique de concilier activités humaines, activités économiques et nature, qui structure la raison de vivre des parcs naturels régionaux ; mais qu'on ne vienne pas me raconter que passer à 30 % d'aires naturelles protégées sur le territoire résoudra quoi que ce soit (car c'est l'objectif). 30 % de quoi ? Déjà, dans le parc national des Pyrénées, peu de zones me semblaient réellement propices à l'épanouissement de la faune sauvage (en réalité uniquement dans le cœur du Parc... soit 1 % du territoire si on le ramène au territoire français). Mais dans le parc naturel régional, il me semble y avoir de nature que tout juste ce dont ont besoin les activités humaines (agroforesterie, tourisme...) pour perdurer. Comme la compensation carbone (dont je parlais dans le précédent récit et qui ne règle absolument rien si l'on coupe les arbres trop tôt) ou la voiture électrique soi-disant propre, passer à 30 % de parcs naturels ne veux absolument rien dire. Tout dépend de ce que l'on considère comme " naturel "... un paquet d'endroits dans les Alpes du Sud, en dehors de parcs " naturels ", me paraissent bien plus propices à la faune et à la flore sauvages.


Bon, cela dit, je ne me hasarderais (presque) pas en généralité, nous ne parcourons qu'une petite partie d'un des nombreux parcs naturels régionaux de France. Au col de Fontfroide, une apparition nous surprend : une grande pancarte reprend une citation d'un géographe anarchiste du 19e siècle, Élisée Reclus (cf. photo)... dont j'ai parlé sur ce site. Mais qui en France connaît ce penseur visionnaire, d'autant plus au fin fond du Haut-Languedoc ? Incroyable mais réjouissant. Et cette pensée vieille de 150 ans résonne tellement dans notre aventure ; nous qui sentons moins d'entrain lors des traversées de forêts mono-spécifiques ou de quartiers bétonnés ; nous qui sentons notre imagination et notre allant s'allumer de 1000 feux lorsque nous traversons des environnements riches en biodiversité ou des quartiers en pierre et arborés.


Dans un village des piedmonts, des panneaux pédagogiques expliquaient qu'au 19e siècle, les édifices publics (fontaines...) étaient pensés aussi bien pour leur utilisation pratique que pour leur valeur esthétique. Pas étonnant que de nombreux monuments datent de cette période... Pas étonnant que Élisée Reclus parle aussi de la beauté, de l'esthétisme de notre environnement naturel et urbain... Pas étonnant que peu de constructions modernes soient reconnues pour leur esthétisme, étant donné que Elisée Reclus est malheureusement tombé aux oubliettes des formations en philosophie et en géographie. Le jour où Élisée Reclus sera réhabilité ; le jour où l'importance de l'harmonie, de la beauté, de l'esthétisme... que sais-je... sera reconnue à sa juste valeur ; alors peut-être pourrons-nous de nouveau être fiers des villes et des forêts que nous habitons... Et peut-être nous rendrons-nous compte des bienfaits sociaux et psychiques que la grâce nous apporte. Espérons...

En attendant ce jour où l'aspect rationnel et pratique des choses n'embolisera plus notre magnifique planète et nos pensées, nous nous consolons en approchant du Caroux. De plus en plus le sentier s'écarte du plateau pour sortir de la forêt et explorer les versants sud-est du Haut Languedoc. Splendide ! Nous dominons le Golfe du Lion et apercevons la colline de Sète, en bord de mer... alors que nous avons les " pieds " dans la bruyère et la " tête " dans l'immensité du ciel bleu, à près de 1000 m d'altitude. 


Et en plus, nous disposons de cet îlot de roche dans le ciel pour nous seuls. Comme admirer la Joconde au Louvre en session VIP ! L'immense majorité des randonneurs et visiteurs s'arrête aux environs immédiats des célèbres gorges d'Héric. C'est le principal avantage de cette traversée : on va toujours un peu plus loin, on visite les salles inconnues du musée. La perspective de ce tableau est réellement fantastique, je n'avais pas ressenti pareille exaltation depuis le Parc National des Pyrénées. La conjugaison des couleurs vives, des quelques pins sylvestre à l'écorce saumon qui étirent leur tronc vers le ciel, des monticules rocheux qui marquent la fin du plateau, et du tombant devant nous qui porte jusqu'à la côte confère au paysage une harmonie et une puissance folles. Ne manque que les mouflons qui vivent ici... mais ils restent discrets pour l'instant. À moins que ce ne soit le maudit sac de Juju qui les éclaire de notre venue... Non, quand même pas !

La fin d'après-midi se déroule à la force des mollets et des cuisses, dans une série de up and down, pour couper des vallons abrupts à travers les anciennes terrasses envahies par les châtaigniers. Nous nous dénichons un bivouac inespéré dans cet environnement tout sauf plat, sur la crête au-dessus du col de Bardou... une placette hors-sentier, grâce à notre flair de randonneur !

Voilà 46 jours que nous marchons :


Ça change ! Après la platitude du plateau et les forêts de conifères, nous voici empêtrés dans les cassures à l'est du plateau du Haut-Languedoc et dans les forêts de châtaignier. Ça faisait un bon moment que nous n'avions pas emprunté pareils chemins raidos, autant à la descente qu'à la montée. Nous traversons plus vite qu'il n'en faut pour nous en rendre compte les gorges d'Héric et grimpons en face vers le village éponyme et le col qui permet de basculer de nouveau sur le plateau. Arrivés au magnifique village en pierre de Douch, nous sommes fiers de ne pas avoir perdu la pêche sur les montées raides après une quinzaine de jours plus roulants. Il faut dire que c'est follement motivant d'évoluer sur ces sentiers en pierre centenaires qui permettent d'explorer le Caroux. 


Dans ce massif, on pourrait tourner un film d'époque sur la vie paysanne pendant l'entre deux guerres, sans rien changer au décor. De belles portions d'anciens chemins muletiers, tout en pierre... les formidables murs de pierres empilées qui délimitent les terrasses... les tout petits villages où le moindre espace est construit en pierre... Vous l'aurez compris, point de béton, de ferraille ou autre mocheté, tout est... en pierre du coin, le gneiss, une roche, comment dire, sombre et claire à la fois. Les gorges sont somptueuses d'un bout à l'autre. Moi dont l'un des rêves serait de traverser la France à pied avant l'arrivée généralisée du goudron et du béton, je suis servi. C'est comme si j'y étais... avec un sac bourré de technologies tout de même ! Je prends les avantages de notre époque. Et puis en godillot, nous ne ferions pas 20 à 30 km par jour...

Après Douch et son ambiance rétro, nous quittons le GR7 pour emprunter le GRP et la crête menant au col de l'Ourtigas. Choix gagnant, tant le panorama pendant 2h, sur cette dorsale de bruyère, est fantastique. On y voit à des dizaines de kilomètres à la ronde, jusqu'au fameux Pic Saint-Loup si chéri des montpellierains. Autant certaines parties en forêt laisse dubitatif, autant la diversité des paysages et des ambiances fait du Parc Naturel Régional du Haut-Languedoc un must pour la randonnée en France.

Toujours pas de mouflons en vue... Peut-être regardons-nous mal, puisqu'ils se laissent régulièrement observer dans les environs. Par contre, aucun souci pour " admirer " les champs d'éoliennes au loin. Depuis la Montagne Noire, c'est un festival de crêtes décorées de grandes pâles qui tournent dans le vent. Charmant... et on les voit de si loin ! Ces engins immenses, qui commencent réellement à envahir le paysage de nombreux coins de France (même les parcs naturels dis donc, quelle surprise !), ne peuvent s'empêcher de m'évoquer un monde apocalyptique (pour moi) dans lequel plus aucune parcelle d'horizon ne porte la signature de notre espèce. Et dire que l'on va même en installer en mer... En mer ! Même de la plage nous n'aurons plus la possibilité de jouir d'un infini pur, non défiguré ? Quand on voit l'état du tableau (et ce malgré la beauté du paysage qui résiste ici tant bien que mal) depuis cette crête, on se dit qu'il faudrait cloner Élisée Reclus et le mettre pouvoir (plutôt que de rêver aux clones d'éventuels dinosaures ou mammouths). 


Quand on sait qu'à l'heure actuelle seuls environ 5 % de notre production d'électricité provient du vent, il y a de quoi avoir une légère angoisse pour l'avenir. Si on compte réellement faire progresser le renouvelable, jusqu'à quel point accepterons-nous de balafrer les paysages français ? Lançons une étude sérieuse pour connaître l'équivalent en nombre d'éoliennes de la consommation énergétique de toutes les séries et vidéos de m... qui circulent à longueur de journée et de nuit sur internet ! Qui sait, en arrêtant de bourrer nos crânes de débilité, peut-être pourrions-nous encore dans 20 ans nous extasier devant un coucher de soleil, sans monstres métalliques striant le soleil...

Voilà 47 jours que nous marchons :


Après Marcoux, nous quittons définitivement les hauts plateaux du Languedoc. Certes, nous restons entre 300 et 700 mètres d'altitude, mais l'ambiance des 3 précédentes journées est bien derrière nous. Finis les immenses forêts et le plateau entaillé par de profondes gorges... Le relief est désormais plus doux, le paysage dominé par les collines arrondies. Pour rejoindre le plateau du Larzac et le Caylar vendredi, nous combinons avec une certaine malice GR, PR (sentiers de petite randonnée), pistes et autres petites routes goudronnées. À chaque croisement, nous avons l'œil sur le téléphone pour consulter le portail IGN hors ligne. 


C'est dans ces parties loin de tout grand itinéraire de randonnée que je prends le plus conscience d'être en train de traverser la France à pied. Pas d'autres randonneurs, pas ou peu d'intérêts " remarquables ", un terrain qui change à chaque croisement, des villages de " bout " de France qui vaguent à leurs occupations... La marche prend tout son sens ! Rien ni personne (ni autres sites internet " donneurs de bons conseils ") ne nous dictent notre trajectoire. Alors pendant ces espèces de " transitions " entre des portions plus belles de la traversée, nous restons certes moins ébahis devant les panoramas et prenons moins de photos, mais on ne se porte pourtant pas plus mal. On rentre dans un espèce de quotidien, en quelque sorte...


A Truscas, grande déception. À l'auberge du village, nous salivons devant les plats de frites apportés par les serveurs mais... nous sommes en retard, plus de menu pour nous. Ce sera sandwich au fromage. Et sandwich au fromage à Truscas, ça signifie sandwich au fromage ! Du pain et du fromage, ni plus ni moins.


Ragaillardis par notre sandwich... au fromage, nous parcourons un paysage de collines partiellement aménagé par l'activité de petits exploitants agricoles, comme on pourrait en voir dans de nombreux coins du sud de la France. Loin des grands champs de maïs et des forêts commerciales, la campagne française est bien agréable à parcourir. En plein agribashing, parfois aveugle ou sans nuances, il faut bien leur reconnaître ce mérite aux petits agriculteurs. Que serait le paysage ici, sans eux ?

Voilà 48 jours que nous marchons :


Nous y sommes, sur le causse du Larzac. En guise de bienvenue, il nous offre une forêt enchantée. Hêtres centenaires et grands rochers calcaires forment un labyrinthe magnifique à explorer. L'alliance du végétal et du minéral dessine une ambiance onirique. Ici, peu de traces humaines, comme si la forêt sortait tout droit d'un compte millénaire. Nous serions à peine étonnés de voir débarquer Merlin l'Enchanteur de derrière un rocher, nous faisant signe de le suivre pour découvrir on ne sait quel monde de merveilles... Mais, pas d'apparition magique pour aujourd'hui, si ce n'est l'omelette au roquefort que nous concocte l'Auberge de la grotte de Labeil ! Le sandwich au fromage nous semble bien loin et on se dit que notre arrivée sur les causses coïncide avec opportunités de bonne bouffe. Tant mieux après 5 jours d'autonomie et de popote au réchaud...


L'orage éclate juste après la crêpe au dessert. Les 10 km qui nous séparent du Caylar sont tracés d'une traite. Les vestes imperméables jouissent de 2h de lavage intensif sur nos épaules. Pour la deuxième fois de la traversée, seulement, nous sommes rincés jusqu'au slip. Et comble de réussite, un hôtel nous accueille à chaque fois pour sécher le matériel !

J44 : Labastide-Rouairoux au lac Vézoles (970 m) ; 7h ; 26 km ; + 850 ; - 280 m


J45 : lac Vézoles à la crête au-dessus du col de Bardou (670 m) ; 7h15 ; 25 km ; + 650 m ; - 950 m


J46 : crête au dessus de Bardou au col de l'Airolles (470 m) ; 6h15 ; 17 km ; + 1000 ; -810


J47 : col de l'Airolles au ruisseau en contrebas de la Dalmerie (460 m) ; 6h45 ; 22 km ; + 950 m ; - 970 m


J48 : La Dalmerie au Caylar ( 730 m) ; 6h15 ; 25 km ; + 750 m ; - 480 m


Max

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