Traversée de la France, 10ème partie : De Florac à Malaucène

Récit du 04 au 12 septembre :


Voilà 55 jours que nous marchons :


Grosse et très belle journée en perspective dans le parc national des Cévennes ; deuxième parc national de notre parcours. Le prochain ne viendra que vers la fin, dans le Mercantour. Aujourd'hui, notre itinéraire passe presque tout du long par des crêtes. En effet, le GR 68 en partance de Florac permet de découvrir des chemins exceptionnels qui grimpent jusqu'aux antennes-relais qui ornent les petits sommets cévenols. Un must de la randonnée, des panoramas à couper le souffle... Alors la veille, confiant, je suis allé me renseigner à la Maison du Parc pour connaître les points d'eau sur le parcours (n'en ayant pas de noter sur la carte IGN). Un si beau chemin... nul doute que les agents du parc devraient pouvoir m'aiguiller. Hum... Peut-être avais-je oublié que je suis en France, pas aux États-Unis. Là-bas, à l'entrée de chaque parc national (et il y en a un paquet dans l'Ouest), La Maison du Parc regorge d'infos ludiques sur la géologie, la faune, la flore et les chemins divers et variés. Les Rangers (les employés du Parc) sont habillés en tenue de " nature ", un peu comme l'image qu'on se fait d'un scoot américain. À part quelques " brebis galeuses " dans certains grands parcs, les employés (ou plutôt les passionnés) connaissent sur le bout des doigts leur parc de plusieurs milliers d'hectares. 


Là, à Florac, je suis accueilli par une petite jeune, en jeans, qui n'a pas dû voir le soleil depuis ses dernières vacances à la plage avec ses parents, à 16 ans. Sans même que je puisse lui expliquer ce qui m'amène, un dépliant en papier/plastique m'est collé sous le nez. Au format A3 (ou quelque chose comme ça), la plaquette semble présenter une carte des Cévennes et ses principaux points d'intérêt touristique. Euh, non, mademoiselle, j'ai une tête de camping-cariste ? Premièrement, je tente de lui faire comprendre l'itinéraire que nous prendrons le lendemain. Peine perdue... Bien évidemment, elle me dit gentiment que je peux passer par le chemin de Stevenson, le seul parcours pédestre connu du coin. Non, raté, on n'en prendra qu'une petite partie. À tout hasard, peut-être parce que je suis joueur, je lui demande si elle pense qu'il y a des points d'eau. Elle me répond, avec une sagesse quasi émouvante : " Par précaution, prenez 2 litres d'eau avec vous, il fait chaud en ce moment ". Ben oui, la météo annonce 30 degrés à l'ombre demain. Les 2 litres d'eau seront bus bien avant la fin de la journée ! Sans vouloir la froisser, je m'enquiers, en dernier recours, si par hasard il y aurait dans la MAISON DU PARC quelqu'un qui connaît les chemins de randonnée et qui pourrait me renseigner avec plus de détails (enfin au moins UN détail...). Clou du spectacle : " Ah non, ici personne n'est de la région, on ne connaît pas plus que ça ". Là encore, autant de candeur et de sincérité parviennent presque à m'émouvoir !

Je quitte " Heidi au pays des dépliants à la con " pour retrouver Juju à l'extérieur, un léger sourire aux lèvres. En effet, mieux vaut en rire... même si c'est à pleurer ! Parce que pour moi qui est pondu un mémoire de fin d'étude concluant que le tourisme devrait se réinventer pour mieux disperser les flux de voyageurs sur les différents territoires (et par là même réduire les nuisances dues au sur-tourisme et faire profiter plus largement l'ensemble des territoires), c'est effectivement à pleurer. Le tourisme, c'est 10 % du PIB mondial ; 7 % en France. Comment peut-on encore prendre ce secteur à la légère ? Le parc national des Cévennes est une vitrine merveilleuse pour la région, pour la France, et j'imagine que tous les touristes sont envoyés vers les mêmes coins depuis 40 ans ! Randonnée ? Chemin de Stevenson, et point barre ! " Et oubliez pas vos 2 litres d'eau, il fait chaud ". La " pauvre " n'y est pour rien, elle n'y peut rien, les moyens alloués en France à la protection et à la mise en valeur de la nature devant être à ce point ridicules. Elle est envoyée loin de chez elle, sacrifiée sur l'autel du Tourisme archi-balisé, " prêt-à-consommer ".


Bon je m'emballe, tout ça pour une question d'eau. Et en même temps, l'eau c'est la vie... Si nous étions novices, 3 solutions face à l'incompétence du Parc : renoncer, prendre 5 litres d'eau chacun (c'est lourd!) ou partir inconsciemment sur une quarantaine de kilomètres où rien ne semble couler à la fin de l'été. Mais nous ne sommes pas nés de la dernière pluie (même si cette dernière date un peu). Nous appelons un gîte, à 30 km de Florac sur notre parcours, pour savoir si l'eau coule par chez eux. Bingo, le propriétaire nous dit qu'ils ne sont pas au gîte, mais que nous pourrons rentrer dans la cour pour nous servir à la source qui coule encore. Nous devrons donc tenir 30 km et comptons donc bivouaquer non loin du gîte. C'est donc lestés de 3 kg d'eau chacun que nous nous engageons sur les crêtes cévenoles : un pur régal presque d'un bout a l'autre et des vues exceptionnelles sur le Causse Méjean, de l'autre côté de la vallée. 


Vers 18h, pour le moins entamés physiquement, nous découvrons avec bonheur que la source coule bel et bien. Depuis Florac, pas une goutte d'eau... Jusqu'à Chamborigaud, une quinzaine de kilomètres plus loin, sûrement pas plus. Il fallait connaître cette petite fontaine cachée au fin fond du jardin pour avoir le privilège de côtoyer les cieux cévenols... et sortir des " dépliants battus " !

Voilà 56 jours que nous marchons :


Nous continuons notre descente ce matin. En 1000 m de dénivelé, nous passons des crêtes cévenoles, entre terre et ciel, au fond de vallée des Cévennes ; des hameaux semi-abandonnés de vieilles maisons en pierre sombre aux villages de bord de route plutôt bétonnés. Finis la bruyère et les panoramas étendus, place aux pins maritimes et aux gorges encaissées ! Ce changement d'ambiance et d'environnement est brutal, nous qui étions il y a encore 48 heures sur les hauts plateaux couverts de steppes des Grands Causses. Comment passer de la Mongolie à la Provence, à pied, en à peine deux jours ! Et dire que nous avons toutes les craintes à envisager un futur avec moins de voyages intercontinentaux en avion...

L'après-midi, après être passés sous un viaduc ferroviaire dantesque, nous nous enfonçons doucement dans la petite vallée du Luech. Une fois la grande route derrière nous, le chemin devient paisible et prend des allures d'arrière-pays provençal... Un petit goût de vacances ! 


Et que dire de notre bivouac pour la nuit entre les dalles rocheuses des berges du Luech, et de la baignade jouissive dans les vasques d'eau ! Demain matin, il faudra quitter notre petit paradis, remettre nos chaussures et notre maison sur le dos et parcourir une vingtaine de kilomètres... Dur dur !


Voilà 57 jours que nous marchons :


Certains hameaux nous semblent sortis d'un autre temps. J'ai parfois l'impression de me promener au Népal, tant l'environnement rural respire la simplicité. En empruntant le méconnu GRP Tour du Luech, nous découvrons des coins des Cévennes hors des circuits touristiques, voire même " hors de France ". Rien ne nous aurait amené ici si nous ne traversions pas le pays d'Ouest en Est ; nous sommes là presque par hasard. Et ce hasard est une bénédiction car il nous ouvre les portes de petits paradis en marge de notre société du toujours plus vite, du toujours plus performant, du toujours plus pratique, etc. Il règne ici, le long des gorges entre Le Chambon et Peyremale, un parfum de non-conformisme. Un non-conformisme non pas revendiqué ou placardé, mais tout simplement qui émane de l'atmosphère comme une évidence. Quelques brebis paisent dans les prairies qui bordent la rivière, les chats font leur petit tour matinal, les plantes sauvages envahissent en toute tranquillité certains pans de bâtisses, les maisons se fondent dans le paysage sans le défigurer... les habitants des lieux sont absents ou encore dans leur sommeil. 


C'est que nous partons tôt le matin pour avoir le temps de profiter de la journée ; pour goûter aux douceurs de la fraîcheur matinale ; pour être adaptable sur l'itinéraire ou la place de bivouac... et peut-être aussi pour le plaisir de surprendre les habitants qui ouvrent leur volets et découvrent deux énergumènes se promener dans leur village à 7h30 du matin ! Et puis les cloches des églises ne raisonnent jamais aussi intensément qu'au moment où le soleil se lève... comme pour l'honorer indéfiniment, jour après jour.


Sortis du Luech, nous retrouvons une France plus " classique ". Notre bivouac pour la soirée n'a, aux premiers abords, rien d'exceptionnel. On entend la route et nous sommes dans un champ à proximité des vignes. Rien de bien sauvage, et pourtant... Deux buses nous survolent pendant un petit moment ; un martin-pêcheur me " file sous le nez " lorsque je viens prendre de l'eau à la rivière ; un pic lance à proximité ses cris si caractéristiques ; les libellules laissent leur place aux chauves-souris à la tombée de la nuit et un chevreuil " aboie " vers 22h comme pour nous souhaiter bonne nuit ! Le sauvage réside encore un peu partout... Pourvu que ça dure !

Voilà 58 jours que nous marchons :


Depuis hier après-midi, c'est le retour sur terre... Entendez la sortie du Massif Central et des Cévennes et de leurs reliefs inspirants. Dans les environs du joli village de Barjac, c'est plutôt plat et un brin redondant ! Aux espaces viticoles succèdent les forêts de chênes ; aux forêts de chênes succèdent les espaces viticoles. 


Après Barjac, nous traversons même un plateau calcaire, en bordure de la réserve naturelle des Gorges de l'Ardèche, où seuls les chênes de taille très modeste semblent permis de pousser. Sur ce plateau, même principe que sur les causses : pas une goutte d'eau en surface ! Au royaume des avens (les grottes qui forment le gruyère de calcaire), le randonneur est un randonneur lesté de beaucoup, beaucoup d'eau. Nous ne sommes pas à notre place ici : même si 33 km harassants nous sont nécessaires pour relier le sublime village d'Aigueze, dont l'ancien fort surplombe magnifiquement la sortie des Gorges de l'Ardèche, nous les survolons le plus vite possible pour éviter de nous retrouver à poser le bivouac sans une goutte à boire. À 18h, à la terrasse d'un café, nous dégustons un coca frais et une glace dont les effets salvateurs sont inversement proportionnels à la monotonie et à la longueur de cette foutue journée !

Voilà 63 jours que nous marchons :


Pendant la petite semaine qui s'est écoulée depuis Aigueze, RAS ! Des forêts de pins, des vignes, des vignes et encore des vignes. C'est que nous avons traversé la large vallée du Rhône, passage obligé sur notre route vers les Alpes. Heureusement, le Mont Ventoux nous a servi de point de mire et d'encouragement dans notre avancée dans la plaine ; tout comme de très beaux villages et villes tels que Pont Saint Esprit ou Seguret.


Enfin, nous... Pas tout à fait ! C'est qu'il y a eu abandon en rase pature, Juju devant faire un aller-retour de 4 jours pour assister à une formation à Lyon... et par là même me laisser seul sur la pire portion de la traversée. En fin de compte, c'était encore un bon timing, elle n'a un peu près rien raté.


À Malaucène, au pied du Mont Ventoux, nous retrouvons des paysages plus propices à la marche. Les Baronnies s'offrent a nous !

J55 : Florac à la source de Castagnols (810 m) ; 7h30 ; 29 km ; + 1100 m ; - 840 m


J56 : La source de Castagnols au bord du Luech, après Chambon (250 m) ; 4h30 ; 19 km ; + 200 m ; - 760 m


J57 : Du Luech au bord de la Claysse entre St André et St Sauveur de Cruzière (150 m) ; 7h30 ; 27 km ; + 600 m ; - 700 m


J58 : Bord de la Claysse à Aiguèze, camping à la ferme (100 m) ; 7h15 ; 33 km ; + 400 m ; - 450 m


J59 : Aiguèze à Pont-Saint-Esprit (50 m) ; 2h45 ; 12 km ; + 100 m ; - 150 m


J60 : Pont-Saint-Esprit à Sainte Cécile les Vignes, maison d’hôtes les Vents d'Anges (100 m) ; 5h ; 23 km ; + 200 m ; - 150 m


J61 : repos 


J62 : Sainte Cécile les Vignes à Séguret (240 m) ; 3h30 ; 17 km ; + 200 m ; - 60 m


J63 : Séguret à Malaucène, camping le Bosquet (340 m) ; 3h15 ; 12 km ; + 450 m ; - 350 m


Max

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