Traversée de la France, 11ème partie : De Malaucène à Ribiers

Récit du 13 au 17 septembre 2020


Voilà 64 jours que nous marchons :


Nous partons de Malaucène le cœur léger. Une blanche IPA et d'excellentes crêpes hier soir... et surtout la perspective d'attaquer les Alpes après une semaine dont l'électrocardiogramme des émotions s'est avéré aussi plat que le paysage. Les Alpes, je m'emballe un peu. Les Préalpes plutôt, mais quand même, le parc naturel régional des baronnies provençales nous tend les bras.


Au pied du mont Ventoux que nous allons contourner par le Nord, le cœur léger je disais... pendant les 3 premiers kilomètres. Puus premier " lestage cardiaque " par la rencontre avec une tripoté de chasseurs en forêt. Je le dis tout de suite, je n'ai rien contre la chasse, si tant est qu'elle soit respectueuse de l'environnement et des animaux sauvages (donc non à la glue, non a l'élevage intensif de gibier, non à la chasse d'espèces protégées...). Toutefois, en tant que randonneur, il faut bien admettre que se promener sur les chemins par un bon weekend de chasse, c'est un tantinet dérangeant, voire carrément anachronique. Les deux pratiques cherchent la rencontre avec l'animal, sauf que l'aboutissement diffère diametralement. D'où le sentiment de côtoyer un autre monde, un monde parallèle avec des personnes armées de fusils. Malheureusement, les balles passent parfois les frontières de nos deux mondes... On se hâte de quitter la zone de chasse.


A peine évacué la pression de la chasse, nous accrochons un deuxième poids à nos cœurs qui commencent à peser bien lourds, à même pas 10h du matin. Une rumeur remonte du fond de la vallée du Toulourenc depuis une bonne demi-heure. L'explication nous saute à la figure lorsque nous debouchons sur la petite route qui doit nous amener doucement vers le hameau de Veaux. Une course de karting se déroule ici, en pleine nature ! Le kart je connaissais sur circuit, pas au cœur d'une petite vallée paisible des baronnies. La route, notre route, est bloquée. On doit traverser le bitume entre deux passages de bolides ultra-bruyants pour trouver un minuscule sentier qui nous mène près de la rivière. Puis on galère car le sentier s'evanouit, on s'enerve contre la course qui nous bloque le GR 91. Après une petite heure de up and down et de recherche de sentiers frustrante sous la chaleur écrasante, nous parvenons à déboucher sur le départ de la course. Une fois encore je n'ai rien contre le karting, mais là quand même. Après la chasse, nous avons vraiment l'impression de ne pas être à notre place dans le coin. Pourtant, la vallée et les bois respirent (pendant les intervalles sans coups de fusil ou passages de kart) la naturalité même. Entre montagne de Bluye et mont Ventoux, l'environnement est magnifique... 


Mais malheureusement, ce dimanche, pas franchement sublime, tellement la nature passe au second, voire complètement à l'arrière-plan des activités humaines. Pour nous qui nous réjouissions de sortir enfin de la vallée du Rhône pour retrouver des espaces plus sauvages, c'est raté pour aujourd'hui.


Nous continuons sur le GR91 qui surplombe les belles gorges du Toulourenc. Les chasseurs et les kartings derrière nous, le cœur se déleste de 2 gros poids, devant les paysages de Provence. Une légèreté furtive car le coup de grâce de cette journée fort contrariante vient des promeneurs eux-même. Par un beau dimanche ensoleillé, quelle merveilleuse idée que de visiter à pied les gorges du Toulourenc. Sauf que la manière compte. À l'entrée des gorges, de grands panneaux (cf. photos) informent les visiteurs des bonnes pratiques à adopter pour préserver ce joyeux naturel : ne pas construire de barrages avec les galets pour éviter le réchauffement de l'eau et donc son appauvrissement en oxygène, et surtout éviter autant que possible de marcher dans le lit de la rivière pour ne pas écraser les larves de poisson. Pour une fois, il faut le reconnaître, le propos est clair, pédagogique, bien mis en évidence pour ne pas être manqué. Et pourtant, du haut de notre sentier panoramique qui surplombe les gorges, nous entendons la rumeur des groupes qui se promènent et jouent dans le lit de la rivière. Des dizaines et des dizaines de silhouettes de bipèdes remontent et descendent les gorges, les pieds dans une trentaine de centimètres d'eau. Le spectacle de l'humanité, absolument insensible au vivant qui peuple les milieux naturels, nous saute ici aux yeux comme l'évidence de décennies entières de séparation entre humain et non-humain. Juju se sent tellement mal à l'aise qu'elle me demande de hâter le pas pour passer au plus vite ces gorges de la honte. Je lui dit que c'est important de voir ça pour comprendre que 13% de vote aux élections européennes pour les écologistes ne signifient en rien que la société est prête à revoir son mode de vie et ses relations à l'environnement... Pour un selfie, pour le plaisir de se rafraîchir les pieds ou de se débarrasser des gosses le temps qu'ils construisent des barrages, des milliers de personnes chaque année remettent en question la pérennité de tout un écosystème. Depuis 10 ans, à cause du réchauffement de l'eau, de la prédation des chiens de compagnie, des déjections canines comme humaines, de la crème solaire, du piétinement excessif du cours d'eau et du bruit, la vie s'effondre dans le Toulourenc. La municipalité et le département ont beau expliquer autant que possible l'impact de la marche aquatique, cette pratique à la mode et la réjouissance de se mettre en valeur sur les réseaux sociaux semblent rendre aveugles bon nombre de nos concitoyens. Les animaux vivant le long de cette rivière en paient le prix fort ; mais malgré le danger, les autorités se refusent encore à fermer le site naturel. Jusqu'à quand ? Ce serait tellement dommage, alors qu'une visite adéquate serait presque indolore pour le vivant. De notre sentier en balcon, on ne fait de mal à personne...


Je n'en veux même pas à ces gens-là, en bas, héritiers d'une culture qui s'est façonnée sur le drôle de principe selon lequel la vie humaine est intrinsèquement, absolument plus noble que celle des animaux et des plantes. Paradoxalement et tristement, c'est l'envie toujours plus prononcée d'activités de pleine nature qui rend encore plus visible notre indifférence civilisationnelle envers le vivant non-humain ! C'est bien là tout le drame... et cet épisode de notre traversée rend encore plus risible le concept bien flou d'écologie " punitive ". Dans les gorges du Toulourenc, pour le coup, l'écologie ne se veut vraiment pas punitive : le résultat est desastreux ! Lire un panneau et en tirer des enseignements n'agitent malheureusement pas les mêmes ressorts que la contrainte bête et mechante. Un jour peut-être, notre culture envers ce qui ne nous ressemble pas ira vers plus d'attention ; et ce jour, peut-être, l'écologie n'aura plus l'image d'une punition...

En attendant, la nuit venue et les hordes de visiteurs rentrées chez eux, le calme regagne la vallée. Le calme humain j'entends ; car la place est désormais laissée à la nature de s'exprimer. Depuis notre tente, vers 22h30, je réveille Juju pour assister à un spectacle que nous attendons avec impatience depuis 2 mois. Non loin de nous, le brame du cerf retentit. Dans cette vallée assez encaissée, les cris des grands ongulés résonnent entre les parois rocheuses et emplissent la forêt de leur puissance. C'est la première fois que nous entendons aussi bien les cerfs se disputer les faveurs de ces biches. Nous sommes à mille lieues (et pourtant au même endroit) de l'ambiance pesante de la journée. C'est le cœur délesté de nos fardeaux dominicaux que nous nous rendormons, bercés par le brame des animaux de la forêt.

Voilà 65 jours que nous marchons :


Une dizaine de jours que nous n'avons pas dépassé les 1000 mètres de dénivelé positif journalier. 1250 m positif et 25 km nous attendent aujourd'hui... Espérons que nous ne soyons pas trop rouillés. 


En nous éloignant doucement du Ventoux, nous gagnons en perspectives extraordinaires. Au pied de la montagne, on ne voit que ses pieds. Désormais, par le jeu d'un passage de petits cols nous faisant progresser vers le Nord Est, nous pouvons nous enorgueillir de vues exceptionnelles sur l'une des montagnes les plus reconnues de France. Comme le Mont Blanc, le Ventoux est une marque... et nous en jouissons, gratuitement, en toute tranquillité sur les chemins déserts des baronnies provençales. Dire que nous sommes au milieu de nul part n'est pas très valorisant pour le coin, mais c'est vraiment ce que l'on ressent entre Saint-Léger du Ventoux et la Rochette du Buis. Seuls quelques petites bergeries, maisons isolées ou tout petits villages ponctuent notre itinéraire. Et devant chaque maison, on se dit que le chanceux qui y habite prend chaque matin son petit-déjeuner en tête à tête avec le Ventoux, géant au crâne dégarni dont les membres semblent s'étirer à l'infini vers l'est, comme pour nous indiquer la direction de Menton. Cette montagne sublime ne cesse d'attirer mon regard de marcheur ; et je me félicite de ne pas avoir cédé à la " facilité " de grimper dessus. Elle se dresse d'une manière si élégante lorsque l'on observe son profil nord-est qu'il aurait été dommage de lui piétiner la tête sans rien voir de sa beauté.

Nous plantons la tente à proximité de la Rochette. Hier les cerfs, ce soir les chevreuils. Une mère et ses deux petits (Est-ce possible ? Des jumeaux ?) gambadent non loin. Le crépuscule ne nous permet pas une observation optimale, mais le ravissement opère. Qu'on est bien dans les baronnies !

Voilà 66 jours que nous marchons :


Aujourd'hui c'est journee crête ! 2 jours que l'on court après les fameuses crêtes des baronnies, alors on est heureux. Maintenant que nous avons mis le pied dessus, notre route suivra les dorsales orientées ouest-est qui se dessinent dans les baronnies dans la continuité du mont Ventoux. L'année dernière nous avions eu la malheureuse expérience de faire une traversée nord-sud du massif et donc de s'esquinter toute la journée à monter 600 ou 700 mètres pour passer une montagne avant de redescendre aussi sec de l'autre côté. Cette année, dans le sens de notre traversee, nous avons tout loisir de passer près de 2 jours à suivre les crêtes provençales. 


Le temps est toujours extraordinaire, alors la marche est un pur régal. Le Ventoux s'étire toujours au sud, au loin, alors qu'à nos pieds des vallées agraires dessinent des parcelles agricoles. Après la forêt, à environ 1100 mètres, la montagne de Croc et la montagne de Bouvrege offrent un terrain dénudé uniquement recouvert d'herbes jaunies et de roches. Le contraste avec les fonds de vallée est saisissant. Sur les crêtes, on a l'impression d'être à la fois au sommet et au centre du monde, tout en avançant vers notre objectif, à l'Est.

Ce soir, au moment de remplir nos réserves d'eau à la fontaine d'Izon la Bruisse (une demi-heure par litre tellement la source est épuisée, on a eu chaud car pas d'autre eau a l'horizon...), c'est un blaireau qui file devant Juju. Après les cerfs et les chevreuils, que nous réservent les baronnies pour demain ?

Voilà 67 jours que nous marchons :


Réponse très tôt dans la journée sur les crêtes de la montagne de Chabre. Une laie et ses trois marcassins, à une vingtaine de mètres en contrebas, rajoutent une touche sauvage à une matinée encore entre terre et ciel, à crapahuter entre les rochers calcaires. Sur un fil par moment, avec le vide des 2 côtés, nous profitons comme il se doit de la vue portant jusqu'aux Alpes, les vraies. Malheureusement pour nous, une brume peu épaisse persiste depuis 3 jours et nous cache les sommets les plus lointains. Une conséquence des incendies gigantesques qui ont court aux États-Unis ? On ne trouve pas la réponse, mais cela paraît probable...

Voilà 68 jours que nous marchons :


Après les crêtes, les gorges de la Meouge...

J64 : Malaucène à Saint Léger du Ventoux, sur les rives de la Toulourenc (390 m) ; 5h30 ; 18 km ; + 600 m ; - 550 m


J65 : Saint Léger du Ventoux à la Rochette du Buis (830 m) ; 7h15 ; 25 km ; + 1250 m ; - 810 m


J66 : La Rochette du Buis à Izon la Bruisse (1050 m) ; 5h30 ; 18 km ; + 1000 m ; - 780 m


J67 : Izon la Bruisse à Barret sur Méouge (650 m) ; 4h15 ; 15 km ; + 400 m ; - 800 m


J68 : Barret sur Méouge à Ribiers, camping des Myotis (520 m) ; 5h45 ; 20 km ; + 500 m ; - 630 m


Max

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Commentaires: 1
  • #1

    Dad (mercredi, 07 octobre 2020 10:34)

    Faut pas marcher le dimanche!!!
    Non, faut pas...