Traversée de la France, 12ème partie : De Ribiers aux Tourres

Récit du 18 au 25 septembre


Voilà 70 jours que nous marchons :


Hier, nous avons passé la superbe cité de Sisteron. Quel plaisir d'avoir traversé la vieille ville, de s'y être ravitaillé, d'avoir admiré les incroyables formations rocheuses sur l'autre rive de la Durance... sac sur le dos, vers 10h du matin, en mode " on ne fait que passer ". Passer comme un coup de vent dans une ville aussi visitée, aussi belle, sans autre raison que le fait qu'elle soit sur notre chemin, c'est ça, pour moi, traverser la France à pied.


De l'autre côté du cours d'eau que forme la Durance, nous considérons entrer dans les Alpes par le massif des Monges. Est-ce que les Monges, dont le sommet culmine à environ 2100 m, font partie des Alpes, au sens géographique ou géologique, je n'en suis pas sûr. Mais tant pis, car pour nous c'est un grand moment ! À partir des Monges, et ce jusqu'à notre terminus à Menton, nous n'allons plus traverser de grandes plaines et cheminer à travers un paysage de collines. Désormais, la Durance dans le dos, ce sera montagne, montagne et encore montagne pendant près d'un mois.

Et autant dire que ça commence fort. Sur les crêtes qui mènent par l'Ouest au sommet des Monges, un gros grain nous cueille méchamment. Heureusement, la perturbation continue rapidement sa course vers le nord et laisse derrière elle un ciel de traîne splendide qui permet au soleil de nous réchauffer régulièrement et d'éclairer le paysage. Et quel paysage ! Des crêtes du Clot des Martres, la vue porte au nord vers le Dévoluy et les Ecrins, au sud sur la lointaine vallée de la Durance, à l'ouest sur l'immense crête et à l'est sur le sommet des Monges. Il y a tellement à regarder, à droite, à gauche, devant, derrière, que nous avançons bien lentement vers le passage qui nous permettra de basculer à l'est du massif. En plus de la beauté sauvage qui émane de cet endroit méconnu, les vautours fauve qui planent au-dessus de nos têtes rajoutent une puissance indéniable au tableau.

Vers 1900 mètres d'altitude, au pied du sommet magnifique, nous coupons hors-sentier pour gagner les alpages de la cabane de Clapouse. Le temps se fait de nouveau menaçant, alors nous reportons le pique-nique à notre arrivée à l'abri du Seignas. La cabane, bien aménagée et libre d'accès, dispose d'une vue magnifique sur le Blayeul, la chaîne de la Blanche et le massif de l'Estrop. Ce n'est certes pas le confort d'un refuge, mais pour nous c'est encore mieux ; c'est plus sauvage, plus près de la nature... et gratuit !

Voilà 71 jours que nous marchons :


J'ai eu beau m'esquinter les yeux hier après-midi, aucun chamois ne semblait traîner dans le quartier. Mais ce matin, 2 frimousses noire et blanche nous " saluent " dans la descente vers Barles. 2 signes pour nous faire sentir pour de bon dans les Alpes. Plus foncé que l'isard des Pyrénées, le chamois partage avec son " cousin " l'amour des terrains impossibles... impossibles pour nous, parce que pour l'un de nos amis, les pentes à plus de 50 degrés dans les marnes (mélange d'argile et de calcaire peu stable) s'effacent sans l'ombre d'un souci.

Voilà 73 jours que nous marchons :


Ça y est, on est dedans ! Depuis le début de la traversée, il y a déjà plus de 2 mois, la météo (excepté un petit épisode de canicule et quelques cours passages pluvieux) est pour le moins clémente avec nous... jusqu'à cette semaine ! Ils annoncent de beaux cumuls de précipitation sur les Alpes du Sud, associés à une vague de froid plutôt caractéristique d'une fin que d'un début d'automne. Pendant notre journée de repos, la veille dans le petit village du Vernet situé au pied du massif de la Blanche, j'ai passé mon temps à regarder Meteoblue sur mon téléphone pour aiguiller au mieux nos décisions en terme d'itinéraire. L'idée de base était de passer par le Pic des Têtes en empruntant une voie hors sentier pour basculer sur le Laverq ; puis de passer 2 cols à plus de 2500 m d'altitude afin d'atterrir sur le Haut-Verdon, à la Foux d'Allos. Ça, ça doit être merveilleux par beau temps... mais la perspective du hors sentier dans le brouillard, voire dans la neige, ne retient " bizarrement " pas nos faveurs. On reviendra, mais pour l'heure la sagesse nous dicte de passer plus bas pour éviter autant que possible d'être exposé. Pour ne rien cacher, nous hésitons même à faire trois ou quatre jours de repos pour laisser passer " l'orage ". Cela dit, comme je l'ai mentionné plus haut, je scrute attentivement la météo, jour par jour, heure par heure ; et en viens à la conclusion qu'avec un brin de réussite, nous pourrions passer relativement au travers en adaptant bien nos étapes et en dormant en dur la nuit. D'une semaine prévue en bivouac nous passons à une semaine " grand luxe ". Gîte, hôtel ou maison d'hôtes à la Faviere, Villars-Colmars et Entraunes réservés, nous partons relativement confiants sur un itinéraire décidé au dernier moment mais qui devrait être bien sympathique.


Depuis le Vernet, un chien se propose de nous servir de guide. On a beau lui dire que nous connaissons le chemin de La Favière (ce qui est vrai), il n'en fait qu'à sa tête et ouvre la voie. Après le col de Mariaud, nous passons non loin du crash de la Germanwings survenu il y a quelques années. L'impact de la catastrophe, en pleine nature, est désormais marqué par une grande boule dorée qui dénote dans le paysage de roubine, ces grandes faces rocheuses de marne noire qui peuvent faire croire injustement que nous sommes proches d'un volcan. En fait, ces formations géologiques impressionnantes, très présentes dans quantité de massifs des Alpes du Sud, relèvent d'un mélange d'argile noire et de calcaire formé sous la mer et " catapulté " à la surface pendant la surrection des Alpes.

Après avoir dérangés un groupe de vautours au détour de la baisse de Bordette, de gros nuages fondent sur nous depuis le fond de la vallée. Nous n'y échappons pas : pendant 2h nous marchons sous le déluge. Heureusement, après Saume Longe, la piste puis la route nous amènent sans trop de soucis jusqu'au hameau perché de la Faviere, dans la Haute-Bleone. Nous arrivons à l'excellente maison d'hôtes du " Bout de la route " absolument détrempés, comme rarement cela nous est arrivé. La douche puis le pique-nique au sec sont un délice que nous savourons à sa juste valeur. C'est ça la randonnée en itinérance : rendre de nouveau exceptionnels des moments somme toute banal ! Rarement après-midi ne nous avait paru aussi douce, dans le canapé, à lire et à écrire.


Voilà 74 jours que nous marchons :


On ne devrait pas prendre de pluie aujourd'hui. Tant mieux parce que l'étape qui nous attend est interminable, et parfois hors sentier. Pour passer le cirque de Vachiere, je dois faire appel à mes souvenirs des étés 2016 et 2017 pour trouver la voie vers le col de Chalufy. À l'époque, je travaillais comme assistant-guide à Gaudichard, au-dessus de Prads-Haute-Bleone, et nous avions coutume de venir marcher ici, en dehors des quelques sentiers balisés de la vallée. Sans cette expérience, jamais nous ne serions passés à Vachiere, véritable trou noir sur la carte IGN ! Et quel bonheur de repasser par là, dans cet environnement à moitié pastoral, à moitié sauvage, entouré de toute part par les montagnes de Vachiere, Boules, Simance et autres. Entre alpages, forêts de mélèzes et de pins, barres rocheuses et dorsales de marne claire débordant de fossiles d'ammonite (témoins du passé aquatique de la roche), la Haute-Bleone fait incontestablement figure de paradis oublié, méconnu des amateurs de randonnée. Bien que nous sommes un peu tristes de ne pas être passés plus haut et plus au nord, près de la Tête de l'Estrop culminant à près de 3000 mètres, nous nous consolons allègrement à l'approche du col de Chalufy. Le paysage plein de couleurs, plein de contrastes, plein de perspectives, est un véritable enchantement pour le marcheur. Sur les contreforts des Alpes, entre Provence et haute montagne, la beauté et l'ambiance si particulières de la Haute-Bleone ont évoqué chez Alexandra David-Neel, fameuse exploratrice himalayenne des années 20-30, un " Himalaya des Lilliputiens ". 

Entre col de Chalufy et plaine de Jassaud, entre Haute-Bleone et au Haut-Verdon, le spectacle de la géologie tourmentée et colorée continue de plus belle. Si on devait faire un palmarès de nos journées préférées sur la traversée, avec pour critères un amalgame entre beauté des paysages, ambiance sauvage et sentiment de déconnexion, c'est sûr que ce 23 septembre finalement ensoleillé montrait sans conteste sur le podium. Quel merveilleux vallon pour passer l'été, et ce même si la bergère de Chalufy semble s'inquiéter, comme nous, de l'épisode hivernal qui s'annonce pour les prochains jours.


Après 8h de marche effective, après nous être extasiés devant le panorama dantesque sur la haute vallée du Verdon, nous arrivons à bon port, à l'hôtel-restaurant de Villars-Colmars. Une douche, un bon risotto pour Juju et un bon burger pour ma part, et au lit ! Demain, petite étape certes ; mais pour le moment, on est mort.

Voilà 76 jours que nous marchons :


L'hiver est bel et bien là. Ce matin les sommets sont soupoudres de blanc ; mais après une bonne perturbation, le soleil semble revenu pour quelques temps. Nous prévoyons une petite étape pour enquiller nos heures de marche sous le soleil éphémère. Départ 11h, arrivée prévue avant 16h.


Nous quittons la haute vallée du Var par un joli sentier en forêt. Là encore, cette région peu réputée, à la faible offre touristique, s'avère une très belle découverte. Les massifs alentours, entre roubines noires, marnes claires, falaises calcaires, sommets acérés et gorges stupéfiantes, sont incroyables de diversité. En un coup d'œil à travers les splendides pins sylvestre, nous avons tout loisir de profiter de panoramas extraordinaires, véritables condensés des Alpes du Sud. Et cerise sur la montagne, un beau tétras-lyre s'envole à grands cris juste devant nous. Première fois que nous avons la chance d'en voir un de si près : le timing aujourd'hui était décidément le bon !

Au hameau des Tourres (quelques maisons et une chapelle enclavées en pleine montagne), le gîte est fermé. Dur dur, car la météo annonce de grosses rafales de vent et des températures ressenties bien en dessous de zéro. Pas question de dormir dehors... ou du moins pas à l'abri. Gentiment, la propriétaire du gîte, contactée hier au téléphone, nous conseille de poser la tente sous le porche de la maison d'une amie, absente. A peine nous posons nos affaires sous le porche qu'il se met à neiger, parfois à l'horizontal... Ouf !

J69 : Ribiers à Chabert (1140 m) ; 6h45 ; 26 km ; + 950 m ; - 330 m


J70 : Chabert au Refuge du Seignas (1580 m) ; 6h ; 17 km ; + 1000 m ; - 560 m


J71 : Refuge de Seignas au Vernet, hôtel l’Inattendu (1200 m) ; 5h ; 20km ; + 250m ; - 630 m


J72 : repos 


J73 : Le Vernet à la Favière, chambre d’hôtes Le Bout de la Route (1200 m) ; 4h15 ; 18km ; + 750 m ; - 750 m


J74 : La Favière à Villars-Colmars, hôtel le Martagon (1200 m) ; 8h ; 26 km ; + 1400m ; - 1400 m


J75 : Villars-Colmars à Entraunes, gite Villa Noé (1300 m) ; 5h15 ; 18 km ; + 850 m ; - 750 m


J76 : Entraunes aux Tourres (1680 m) ; 4h ; 12 km ; + 850 m ; - 470 m


Max

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