Les enfants de la mer ; Ayumu Watanabe

Les enfants de la mer ; Ayumu Watanabe

 En pleine canicule de juillet 2019, quelle riche idée que d'aller se rafraîchir le corps, sous la clim' d'une salle de cinéma, et l'esprit, par le visionnage d'un dessin animé sur les beautés de l'océan ! Quelques mamans et mamies apparemment bien malines, accompagnées de leurs bambins, l'ont bien compris. Sauf que...

 Effectivement il fait indéniablement frais dans la salle. Mais plutôt que de dessin animé, on parlerait volontiers pour Les enfants de la mer d'un film d'animation pour adultes. Ayant déjà épuisés l'imaginaire de la savane avec Le Roi Lion, ces chers parents en mal d'alternatives, au beau milieu des interminables vacances d'été torrides, emmènent ni une ni deux leur progéniture à peine âgée de 10 ans s’esquinter les yeux et les neurones sur un film peu adapté aux enfants, évoquant plus 2001 Odyssée de l'espace que La petite sirène.

 

C'est que le long-métrage, qui débute pourtant comme un manga classique, prend rapidement la forme d'une fable écologique, métaphysique, envoûtante, fouillis, souvent géniale. Pas si facile de parler de cette œuvre (de ce chef d’œuvre?), tellement le foisonnement d'images animées et de concepts philosophiques approche de la folie. Incommunicabilité dans la société, origine de la vie terrestre, frontière entre humain et nature, Bien et Mal, intelligence animale, déontologie de la recherche scientifique... Et j'en oublie. Le tout est brassé en 1h50 d'images alliant dessin à la main et animation moderne, embellies par un environnement sonore évocateur, entre musique et chants de baleine.

 

L'histoire tourne autour de Ruka, une adolescente connaissant des difficultés à communiquer avec sa famille et ses amis, à tel point de s'en détourner pendant les vacances d'été. C'est à ce moment qu'elle rencontre 2 jeunes garçons extraordinaires, mieux adaptés à la vie aquatique que terrestre car élevés par des dugongs dans l'océan. Il s'ensuit pour elle, comme pour ses nouveaux amis et les scientifiques qui les suivent, une cascade d'expériences écologiques, métaphysiques, et surtout émotionnels qui lui ouvrira les yeux sur une autre réalité du monde. On ne s'ennuie pas une seconde à assister à la métamorphose progressive de cette jeune fille, d'abord renfermée sur elle-même dans un contexte social compliqué.

 

L'apogée de son aventure la voit littéralement épouser la nature et la création, comme moyen de se sentir mieux en tant qu'être humain. C'est de mon point de vue là que le film prend tout son sens, puisqu'il transcende les productions artistiques plus « classiques » traitant du rapport à la nature. Ici, la mer, les baleines, les dugongs, le milieu aquatique dans son ensemble, ne jouent pas les rôles secondaires ou subordonnés aux premiers rôles incarnés par les humains, au contraire. L'Homme, malgré qu'il puisse apparaître comme la plus aboutie des créatures, n'explique et ne se représente en fait qu'une infinitésimale partie des énergies et des intelligences qui traversent la Terre. Dans cette perspective, la vie dans la nature permet à Ruka de s'inscrire dans un tout, le cosmos, dans lequel elle vit sur un pied d'égalité avec les créatures qu'elle côtoie. Une fois l'intégration au plus profond d'elle-même de cette conception holistique du monde, la jeune fille apparaît comme apaisée et prête à se reconnecter à son environnement quotidien terrestre, qu'il soit naturel ou humain. Ou comment la sensibilité à la nature peut être aussi vectrice de relations sociales plus satisfaisantes...

      Là où Romain Gary parle de « marges » dans Les Racines du ciel, Alexandre Lacroix de « sources » dans Devant la beauté de la nature, Elisée Reclus de « mystique » dans Histoire d'une montagne, Ayumu Watanabe (bien inspiré par la série manga éponyme de 5 tomes de Daisuke Igarashi) évoque de la même manière les interactions spirituelles qui peuvent exister entre l'Homme et le nature. Les marges, les sources, le mystique... Autant de termes qui évoquent les états mentaux que nous éprouvons au contact de la nature ; ces derniers ayant le pouvoir de nous connecter à une forme d'essentiel dépassant nos habitus sociaux. Les immenses bienfaits de ces mises en perspective de notre existence, dans un cosmos qui nous dépasse, sont de nature à nous réconforter, à nous émanciper d'une liberté sociétale toute relative et de recréer des liens forts avec notre environnement. L'expérience vécue avec les baleines grises de la lagune de Oro de Liebre au Mexique en a été pour moi une parfaite illustration !

Archipel de Bazurato ; Mozambique. Culture Maxime Lelièvre

 D'ailleurs, on comprend que l'auteur ancre son récit dans la mer. Les profondeurs abyssales méconnues, les mystères de la communication chez les cétacés, la genèse du développement de la vie, les difficultés pour l'humain ne se représenter le milieu aquatique sont autant de caractères qui ramènent le spectateur à son insignifiance relative, à son petit siège de cinéma. Mais dans le même temps, devant les scènes magnifiquement animées de raies manta, de plancton phosphorescent, de crépuscule rougeoyant ou de ciel étoilé dans lesquelles s'inscrivent les protagonistes, on est comme happé par le flux continu de l'eau et de l'air qui courre sur l'écran.

 

Devant la richesse, la complexité des thèmes abordés et le déroulement peu académique du récit, certains pourraient être tentés de quitter le navire à mi-chemin du voyage. Néanmoins, je parie que la majorité d'entre-vous seront subjugués par l’œuvre. La réalisation parle tellement d'elle-même qu'il suffit de se laisser porter par les images et les sons, de plonger en compagnie des enfants de la mer pour vivre une véritable expérience artistique et spirituelle. La principale richesse du film réside à mon avis dans ce dernier aspect. Le ou les messages du film sont relativement dilués et chacun peut par conséquent les réinscrire dans son expérience cinématographique et personnelle.

 

Dans tous les cas, au-delà d'un documentaire animalier ou d'un film anthropocentré, Les enfants de la mer nous invite à considérer la protection de la nature non pas comme une fin en soi mais plutôt comme un moyen de nous interroger sur notre place sur Terre ; et par la même de ressentir plus intensément la beauté du monde et les liens avec le vivant qui nous entoure.

 

Maxime Lelièvre

Et pour d'autres zestes de nature, culture et voyage...

Le 1er roman écologiste, paru dans les années 50, nous plonge dans le combat contre le massacre des éléphants d'Afrique et convoque en chacun de nous

l'amour du sauvage.

Un beau récit géopoétique de la montagne par Elisée Reclus, qui nous narre aussi

bien la géologie que la spiritualité

qui s'y rattache

Le récit de notre périple d'un mois sur les routes et les pistes de Basse-Californie,

à la rencontre de la faune et

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