Histoire d'une montagne ; Elisée Reclus

Histoire d'une montagne ; Elisée Reclus

Devrais-je pour ma première chronique culturelle parler d'un essai quasi-inconnu, écrit par un géographe anarchiste de la fin du XIXème siècle, au risque de faire fuir le maigre contingent qui souhaite suivre les premiers pas du site internet ? Qui ne tente rien n'a rien... et s'il s'agit de recommander une énième fois Into the wild, autant fermer boutique tout de suite ! D'autant que je me lance assez confiant, tant ce géographe a une vision de la nature et une manière de s'exprimer qui n'accroche que très peu l'oreille des lecteurs du XXIème siècle que nous sommes.

 

Elisée ne m'est pas apparu en rêve, quand bien même sa belle barbe et ses yeux pétillants d'anarchiste renferment un pouvoir onirique indéniable. Pour l'avoir découvert, je dois remercier l'excellente revue Relief dont je parlerai dans un prochain billet. Je ne m'étendrais pas sur sa biographie (que vous pouvez retrouver par ailleurs dans la revue) et ses faits d'armes politiques qui lui ont valu un séjour en prison suite à la commune de Paris, mais évidemment sur son admirable déclaration d'amour à la montagne. Cet esprit brillant, las des pollutions, des luttes d'influence et de la laideur des villes de plaine, trouve refuge dans l'écrin des montagnes et nous livre un traité formidable sur leur géographie, leur géologie, leur faune, leur flore, leur météorologie, leur histoire et leur mythologie. N'ayez peur, car le bonhomme nous dévoile une prose non scientiste pour nous conter la vie de la montagne. A propos de Histoire d'une montagne, on parle même d’œuvre géopoétique, c'est dire !

 

       En effet pour tous ceux qui se sont un tant soit peu baladés en montagne, il met des mots clairs, chargés de sens, sur ce que l'on y voit et ressent. Ou comment il parvient à nous faire réapproprier personnellement, au regard de nos expériences, la description géographique d'un paysage ; comme j'ai pu le vivre à la suite de la lecture du livre lors d'une belle traversée entre Briançonnais et Ubaye. C'est assez bluffant ; et cela explique en grande partie pourquoi l'ouvrage se parcourt aisément, en plus d'être relativement court et de ne pas s'attarder longuement sur une même thématique. Lire Elisée Reclus, c'est aussi relire mentalement toutes les montagnes que l'on a traversé, en comprendre a posteriori les dynamiques, les fragilités, et surtout le pouvoir poétique qu'elles renferment.

     Considéré comme l'un des précurseurs de l'écologie, il réussit l'exploit en 1880 de livrer une réflexion aboutie sur le rapport entre l'Homme et la nature. A cette époque déjà de grandes pollutions (déforestation, extraction minière, etc.), il prévient des dangers guettant les peuples qui surconsommeront les fruits de la Terre. Où trouver refuge, paix pour l'âme humaine, si la nature (a fortiori la montagne) est toute entière mise au pas pour et par l'Homme ? On pense évidemment à Les racines du ciel de Romain Gary, qui 70 ans plus tard nous conte le combat d'hommes et de femmes qui luttent en Afrique pour que le monde sauvage ne soit pas mis au ban de l'humanité. Les deux penseurs prêchent déjà pour remettre l'Homme dans le circuit du vivant, pour conserver les beautés de la Terre, mais aussi pour construire des sociétés plus apaisées car en osmose avec l'environnement. Beau projet... toujours pas d'actualité en 2019 ! 

Lac Imja Tso ; Népal. Culture Maxime Lelièvre

Au contraire, ces idées se posent de nos jours avec une acuité accrue, alors que l'écologie pâtit à mon sens d'un manque de poésie au profit d'une approche technique, trop cartésienne. Dans Histoire d'une montagne, il est plutôt question du pouvoir apaisant, ressourçant, presque transcendantal du milieu montagnard, qui nous permet d'accéder sans effort (si ce n'est celui des jambes) aux nues, à cet espace entre ciel et terre où l'esprit accède à une forme d'absolu. Dans la montagne, si tant est qu'il détienne les clefs pour les lire, le promeneur fait face directement aux forces de la nature, qu'elles soient millénaires ou éphémères, et par là même resitue sa véritable place dans l'échiquier cosmique.

 

      Alors je vous conseille chaudement de glisser dans votre sac lors de vos prochaines randonnées ces quelques pensées d'Elisée Reclus ; d'en lire un chapitre ou deux le midi et le soir, pour comprendre la montagne que vous foulez dans sa diversité physique, mais aussi au-delà. Comme Elisée, je pense que « resacraliser » les monts, non plus comme déités mais en faisant appel à nos sentiments profonds pour eux, pourrait bien être une des clefs de leur protection.

 

Maxime Lelièvre

Et pour d'autres zestes de nature, culture et voyage...

Les galeries photo de notre traversée entre Briançonnais et portes du Mercantour, en passant par Queyras et Ubaye. Que les Alpes du Sud sont belles !

 La page d'accueil du site internet, pour découvrir la philosophie et les objectifs

qui l'animent

 Le 1er roman écologiste, paru dans les années 50, nous plonge dans le combat contre le massacre des éléphants d'Afrique et convoque en chacun de nous l'amour du sauvage.


Écrire commentaire

Commentaires: 0