Une espèce à part ; Franck Courchamp et Clément Morin

 En voilà une belle initiative ! Diffusée sur Arte et composée de 10 épisodes de 3 minutes, la mini série d'animation Une espèce à part se donne pour objectif de remettre l'Homme à sa place dans le cosmos. Au contraire de ce que laisse entendre le titre, cette place est révélée comme insignifiante, ainsi que le suggère les conclusions de (presque) chaque partie. Presque, car le dernier épisode porte la question épineuse, et d'actualité, de l'impact très néfaste de cette espèce « immature » (comme décrite dans la série) sur sa propre planète. Une question tout sauf... insignifiante !

 

Franck Courchamp (écriture) et Clément Morin (réalisation) renvoient donc à sa place le vilain petit canard de l'évolution, comme je le décris dans le préambule de ce site, et ce à plusieurs niveaux. A renfort de chiffres et d'images d'animation plus vertigineux les uns que les autres, les auteurs démontrent avec brio la très très très relative importance de l'espèce humaine, si ce n'est dans sa capacité à détruire ce qui l'entoure. Notre Terre représente trois fois rien à l'échelle de l'univers connu ; Homo Sapiens n'est qu'une espèce parmi une multitude d'autres ; notre corps même se compose et dépend de milliard d'êtres microscopiques tels que les bactéries... De l'infiniment grand à l'infiniment petit nous ne sommes donc que peu de chose, et ça me paraît pas mal de le claironner de temps en temps pour contrebalancer un tant soit peu l'épouvantable anthropocentrisme dont les sociétés modernes font preuve.

 En ces temps de culpabilisation exacerbée de nos activités carbonnées, il fait du bien de visionner une œuvre qui parle de l'humain, sans le mettre au centre du propos. Il ne s'agit pas ici de répéter une énième fois à qui veut l'entendre que nous sommes les faussoyeurs de notre belle planète bleue (sauf à la toute fin), dans un propos qui placerait l'Homme comme l'alpha et l'oméga de la problématique. Il est plutôt question de faire prendre conscience que partout, des confins de l'univers à notre microbiote intestinal, les logiques physiques, chimiques et biologiques qui régissent le cosmos depuis la nuit des temps nous dépassent largement. D'ailleurs Une espèce à part se rapproche à mon avis d'une autre œuvre d'animation, Les enfants de la mer de Ayumu Watanabe, dans l'effort qu'elle produit, par l'intermédiaire d'images et de bandes sonores évocatrices, pour happer le spectateur dans la toile du vivant. Dans la réalisation japonaise, on est littéralement submergé par le foisonnement de vie des océans, à tel point que le destin des protagonistes devient presque secondaire. Idem ici, où en l'espace de 30 minutes on se sent tout petit !

 

Mais vous me direz, et à raison : « Et maintenant, à quoi ça sert de se sentir tout petit alors qu'en fait l'humanité toute puissante n'en fait qu'à sa tête ? ». Effectivement, beau paradoxe, que la série met aussi en exergue dans sa conclusion. Je ne sais pas ce que recherchait au fond Franck Courchamp en nous remettant à notre place ; de même que je me questionne toujours sur le réel impact que peuvent avoir les contributions dont je parle sur le site. Savoir qu'aux « Jeux Olympiques des Espèces » nous ne remportrions aucune médaille car le guépard court vite et que le bousier tire 1000 fois sa masse corporelle, ou se rendre compte que la biomasse des fourmis dépasse celle de tous les humains sur Terre, ou que nombre d'oiseaux et de pieuvres font preuve d'une intelligence sophistiquée et de maniements d'outils, ne pourrait-il pas nous rendre encore plus arrogants, puisque nous n'avions rien pour « réussir » mais que nous dominons désormais le monde ? D'ailleurs, la série propose l'analyse d'une humanité immature, imbue de son pouvoir.

 Alors il est à espérer que nous allons rentré à temps dans la phase adulte de notre évolution, pour que nos connaissances des autres espèces vivantes nous rendent enfin humbles face elles. Frans de Waal, dans Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l'intelligence des animaux ?, appelle clairement de ses vœux cette métamorphose en se positionnant sur une approche empathique des autres êtres vivants.

 Une espèce à part renferme certaines des clefs (si tant est que le spectateur ne se noie pas dans l'avalanche de chiffres et d'images spectaculaires) pour permettre à chacun de ressentir au quotidien un Tout qui le dépasse ; pour comprendre que nous ne sommes qu'un maillon de la chaîne de la vie dont nous dépendons.

 

Maxime Lelièvre

Et pour d'autres zestes de nature, culture et voyage...

Une plongée fascinante, visuelle, sonore et spirituelle dans le monde des océans, en compagnie de 3 adolescents japonais hors du commun... Un magnifique film d'animation pour adulte !

Un excellent ouvrage pour mieux cerner les tenants et les aboutissants de l'intelligence animale


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