La panthère des neiges ; Sylvain Tesson

La panthère des neiges ; Sylvain Tesson. Culture Maxime Lelièvre

 C'est le livre de la rentrée littéraire 2019 : prix Renaudot et vendus à plus de 60000 exemplaires en deux mois. Mon Géologie, faune et flore de Namibie s'est écoulé à 1000 exemplaires en 18 mois... Pas besoin de se fatiguer à élaborer un calcul savant, le ratio paraît à mon net « désavantage » ! Quand bien même il est aussi question de panthère dans mon guide, en Namibie elle ne pavoise pas dans la neige. Ce caractère pittoresque explique peut-être l'écart des ventes... Ou pas. Parce que si l'on enlève le soutien d'un éditeur reconnu, la couverture médiatique et tout un tas d'autres facteurs, je dois tout de même bien reconnaître le talent indéniable qu'a Sylvain Tesson pour mettre en poésie le monde.

 

Et pour une fois, à notre plus grand bonheur, il s'agit ici du monde sauvage des animaux en scène sur les hauts plateaux du Changtang au Tibet. Une scène quelque peu dégarnie d'acteurs puisque sur ces terres désertiques gelées et battues par les vents, la vie ne connaît pas les « envolées lyriques » des milieux tropicaux et tempérés. Et pourtant, à l'instar du désert en Namibie, l'environnement inhospitalier est bien le théâtre d'espèces diverses et variées. Le springbok prend les traits de l'antilope du Tibet ; le zèbre de Hartmann ceux de l'âne sauvage kiang ; le rhinocéros noir ceux du yack sauvage ; le vautour oricou ceux du gypaète ; la hyène brune ceux du loup ; le chat sauvage ceux du chat de Pallas ; le léopard ceux de la panthère des neiges (que l'on peut aussi appeler léopard des neiges, panthère et léopard c'est pareil!)... Le metteur en scène change le décor (sommets enneigés et 50° de moins au thermomètre) et les costumes, mais les logiques scénaristiques semblent très proches entre les hauts plateaux tibétains et le désert du Namib. C'est également ce qui a du me plaire dans La panthère des neiges.

 

Faire de l'observation animalière dans le désert peut s'apparenter à chercher un bon produit dans un supermarché lowcost : l'objet de convoitise est rare, on passe souvent des heures pour le dénicher ou ne pas mettre la main dessus, mais quand on « gagne », la « victoire » n'en est que plus belle ! Les sentiments de paix, d'excitation, de plénitude (comme les nomme Tesson) qui naissent de la rencontre avec des êtres vivants rares et discrets sont d'autant plus forts. L'utilité des grands auteurs réside dans leur don pour mettre en mots des émotions physiques ou spirituelles extrêmement compliquées à communiquer.

 

Parfois, à la suite d'une bonne journée de marche dans le Namib, j'égrène joyeusement à mes groupes les animaux dont nous avons eu la chance de croiser la route. Un lézard par-ci, un crécerelle par là ; une antilope au loin, une outarde tout près... sans compter les nombreuses traces de rhinocéros ou de hyènes. Certains croient y déceler un « cache-misère » et attendent avec impatience le safari dans une réserve blindée de bestioles, alors que je suis réellement fier d'avoir pu leur montrer la richesse de l'écosystème désertique. Tesson, donne-moi les clefs pour transmettre cette magie que je ressens devant (presque) chaque fragment de vie du désert namibien.

 

Notre façon de voir le monde se trouve à ce point enfermée dans des schémas de pensées cartésiens, occidentaux, que nous sommes peu réceptifs à ce qu'il y a de plus essentiel : la beauté, la grâce. La grâce d'un vautour décrivant des cercles en vol, d'un lézard s'enfuyant à la surface du sable... La biologie enseignée à l'école paraît pour beaucoup d'élèves si barbante, reposant sur des chiffres, des processus, blabla ; alors qu'elle devrait, de mon point de vue, se baser sur l’œuvre d'art que compose la toile du vivant. Comme le souhaite également l'auteur, l'éducation pourrait (devrait?) nous éveiller à la grâce d'un oiseau profilé par des milliers d'années d'évolution pour glisser sur les courants d'air ; à la grâce d'un lézard « équipé » pour surfer sur les dunes ; à la grâce d'une panthère faisant corps avec un paysage rocailleux recouvert de neige. Ça ne paraît pas grand-chose par rapport aux enjeux planétaires et pourtant, ressentir cette magie représente sans aucun doute l'un des vecteurs les plus puissants pour préserver notre planète. Connaître le temps de gestation d'un springbok, pourquoi pas... Mais s'émerveiller le matin devant ses ballets bondissants c'est encore mieux, c’est empirique, ça parle à nos sens et à nos émotions !

Sur la piste animale ; Baptiste Morizot. Culture Maxime Lelièvre

 Bon, revenons-en au bouquin. Sylvain Tesson divise. Beaucoup adorent, d'autres moins. Idem pour moi au cours de la lecture de l'ouvrage. Des passages font sourires, d'autres me transportent au Tibet ou m'élèvent spirituellement, certains me laissent de marbre. Les forces et les faiblesses ont certainement les mêmes origines. Lors de ce voyage d'un mois organisé par un excellent photographe, Vincent Munier, et consacré exclusivement à l'observation animalière, l'écrivain-voyageur découvre la lenteur, l'affût, le monde animal comme sujet principal. La candeur a ses avantages et ses défauts. Il n'en reste pas moins l’œil aguerri de l'auteur pour poser un regard plein de sagesse sur le monde animal.

 

A travers sa métamorphose en adorateur du vivant non-humain capable de rester plusieurs heures immobile dans le froid dans l'espoir d'observer une panthère élusive, Tesson dénonce aussi les affres de nos sociétés modernes. Bien qu'il puisse parfois agacer en qualité de parisien crachant sur le monde qui le nourrit (mais il le reconnaît modestement), ses réflexions sur le tout connecté, sur l'immédiateté et sur la frénésie de la modernité touchent en plein cœur nos modes de vie. En effet, porter une véritable attention à toutes formes de vie, prendre le temps de poser nos sens sur ce qui n'apparaîtra peut-être jamais... Ces dispositions d'esprit font l'écho inverse de l'industrie du spectacle et de notre boulimie de consommation. Comme il le répète, on ne sait plus se contenter du monde qui nous entoure, de la marche du vivant.

 

Je me rend compte que le progrès humain se définit malheureusement de nos jours par toujours plus, plus, plus (plus d'espérance de vie, plus d'argent, etc.) ; alors que le nombre d'êtres vivants ne cessent d'être toujours moins, moins, moins (moins d'oiseaux, moins de panthères, etc.). La corrélation n'est pas très difficile à opérer.

 

Lorsque Tesson parle de l'affût comme un art de vivre, le lien avec l'excellent ouvrage de Baptiste Morizot, Sur la piste animale, me saute aux yeux. Les essayistes vantent les mérites de deux activités analogues, le pistage et l'affût. L'objectif réside évidemment dans l'observation d'animaux rares à la vue de l'homme en milieu naturel (ours, loup, panthère, etc.), mais aussi et surtout dans l'art de vivre en osmose avec l'environnement. Dans le fond, et même si la cerise sur le gâteau sera une belle photo, pister et planquer permet avant tout de comprendre avec les « tripes » les animaux que l'on convoite. Vivre sur leurs terres dans le même « carré de jardin », échafauder des théories afin de deviner leur « emploi du temps » et où ils « feront leurs courses »... sont autant de façon de partager leur quotidien et donc de mieux les comprendre.

 Chaque écologiste en herbe devrait d'abord se demander en quoi cet animal est gracieux, dans le sens qu'il fait unité avec son environnement. Chaque citoyen sensible à l'écologie devrait de temps en temps mettre sur pause la « machine infernale » du quotidien pour regarder le vivant autour de lui. Ce n'est qu'en observant sans hâte que l'on peut réellement capter la beauté d'un oiseau, d'un lézard... et a fortiori d'une panthère des neiges quand on a la chance de Tesson et Morizot !

 

« Oui mais nous on a pas le temps, on a métier stressant et des gosses ! ». Certes, mais à mon humble avis, la qualité du temps passé s'avère bien meilleure lorsqu'on est attentif à ce qui s'ébat autour. Pendant un barbecue de vacances les hirondelles dansent dans le ciel de fin de journée ; en route pour le boulot les buses trônent au bord de l'autoroute ; à l'aube en rentrant d'une grosse soirée les merles de la ville chantent vos louanges ; en balade en forêt les écureuils se carapatent et les chevreuils aboient bruyamment... Dans tous les temps du quotidien il y a presque toujours un piaf « insignifiant », là, pour vous rappeler que le monde est intrinsèquement beau et qu'il ne tourne pas exclusivement autour de l'activité humaine.

 

Alors avoir l'honneur d'admirer ce qui est l'un des plus rares et des plus gracieux animal au monde, la panthère des neiges, représente une chance inestimable, mais a aussi permis à l'auteur de modifier son rapport au vivant. En espérant que la lecture de son récit puisse vous rendre plus sensible à cet art de vivre. Si ce n'est pas déjà le cas...

 

Maxime Lelièvre

Et pour d'autres zestes de sauvage, culture et voyage...

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 Ou comment rentrer en empathie avec les animaux que l'on piste est de nature à changer notre rapport à la nature...


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