Penser et agir avec la nature ; Catherine Larrère et Raphaël Larrère

Penser et agir avec la nature ; Catherine Larrère et Raphaël Larrère. Culture Max de Nature

Tout d'abord, je voudrais vous présenter mes plus plates excuses car je ne vais pas parler (ou presque) du coronavirus. Non, je ne vais pas évoquer mon point de vue sur la sortie du déconfinement. Non, je ne vais pas me plaindre à propos de l'annulation des circuits que je devais encadré au printemps en Namibie... Non, désolé, je ne vais pas « surenchérir la surenchère » d'informations, de polémiques, de coups de gueule ou autres traits d'humour à propos de ce « très cher » virus !

Devant l'embargo médiatique et face à tout sujet de discussion se rapportant à autre chose que le Covid, j'ai presque honte de vous parler d'un livre ayant trait à l'écologie politique. Mais tout bien réfléchi, est-il si illégitime de mettre sur le devant de la scène la nature, et plus précisément notre rapport à elle, à l'heure d'une épidémie sans précédent qui tue et bouleverse nos vies humaines ? Ce serait oublier bien vite les CENTAINES DE MILLIERS de personnes qui meurent en France et dans le monde chaque année en raison de catastrophes naturelles (inondations, canicules à répétition, etc.) ou des effets de pollutions diverses et variées (cancers, maladies respiratoires, etc.)... autrement dit qui meurent plus ou moins directement des effets involontaires de l'activité humaine. Ce serait oublier, comme le montre très bien cet excellent article, que la propagation des virus, de l'animal sauvage vers l'Homme, est très largement favorisée par la destruction des milieux naturels, par la chute de la biodiversité. Ce serait oublier que, face à cette crise inédite, les Etats du monde entier sont dans l'obligation d'injecter des MILLIERS DE MILLIARDS DE DOLLARS pour combattre le virus et ses effets, alors même que depuis trente ans nous rechignons collectivement à investir quelques dizaines de milliards pour encourager des pratiques vertueuses pour le climat, la biodiversité et donc notre santé à tous.

Alors tout compte fait je n'ai pas honte et je retire mes excuses, j'assume pleinement de ne pas faire « trop » de pub à ce foutu coronavirus. Parlons nature... puisque c'est avec elle que nous devrons nous projeter après la crise (et même dès maintenant), avec elle que nous devrons composer pour le bien de l'Homme et de la Terre en général.

 

Ecrit par les excellents philosophe et ingénieur agronome Catherine et Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature donne des pistes de réflexion très intéressantes pour s'approprier une question simple, limpide et essentielle : que signifie « protéger la nature » ? Une question dont les éléments de réponse s'avèrent néanmoins bougrement complexes... Protéger la nature, oui ; mais quel « type » de nature (la nature sauvage ou la nature ordinaire?), comment (avec ou sans intervention humaine?), pour quelles raisons (assurer les ressources nécessaires pour la survie de l'humanité ou assurer la viabilité à long terme de toutes les espèces?), dans quel cadre « éco-socio-politico-juridico-écologique » (vers la reconnaissance des savoirs et des démocraties locales ou vers la reconnaissance d'un ordre écologique mondial?) ? En fait, ce que je trouve brillant dans le travail des deux auteurs, c'est de sortir des oppositions stériles qui construisent encore nombre de discours sur l'écologie. Soit en conjuguant les objectifs, soit en brisant les frontières, les ou cités plus haut deviennent des et... et ça fait du bien !

 

Par exemple, les auteurs souhaitent nous faire prendre conscience du peu de pertinence qu'il y a d'opposer une protection de la nature « sans l'Homme » à une protection de la nature « avec l'Homme ». Pourtant, il s'agit bien de l'une des fractures qui traversent le mouvement écolo et qui freine l'adhésion politique d'un grand nombre de français. Je pense que beaucoup se demandent encore si protéger la nature ne pourrait se faire qu'au détriment de la société, si les moyens financiers et les espaces alloués à cette cause ne signifierait pas une dégradation de notre niveau de vie ? C'est légitime, mais cette peur se fonde a priori sur une définition biaisée de ce qu'est la nature. Catherine et Raphaël Larrère explicite mes sentiments à ce sujet en montrant clairement qu'il n'existe pas vraiment d'un côté une nature sauvage (extérieure aux activités humaines) et de l'autre une nature anthropisée (en lien avec les activités humaines).

Je le vois dans le loup, cet être on ne peut plus sauvage, cet animal qui suit souvent les pistes motorisées, qui croque de temps en temps une brebis domestique et établit son territoire aussi en fonction du maillage humain. Je le vois dans le merle, ce piaf on ne peut plus commun en ville ou à la campagne, cet animal qui ne connaît pas de limite dans ses déplacements, qui chasse vers de terre et insectes dans mon jardin sans me demander la permission... Tout compte fait, lequel des deux est le plus sauvage ?

Je le vois dans certaines forêts, soi-disant refuges pour les animaux, qui deviennent des industries à ciel ouvert où les arbres n'ont plus le temps de grandir et que boudent la faune. Je le vois dans le jardin de mon logement actuel, soi-disant « espace humain », qui accueille une quantité incroyable de fleurs et d'oiseaux (geai, merle, rouge-gorge, pic vert...) y trouvant un environnement en adéquation avec leurs besoins. Tout compte fait, lequel des deux espaces est le plus propice à la biodiversité ?

Comme le suggère la couverture du livre la biodiversité peut s'épanouir (presque) partout, avec ou sans intervention humaine, mais en fonction des conditions qu'on lui offre. Si le jardin que j'occupe actuellement était recouvert de moitié par une dalle en béton, traité tous les quatre matins au pesticide pour éviter les « mauvaises » herbes et non entouré par des haies épaisses, nul doute que les oiseaux y trouveraient moins de nourriture.

 

 Bon... Tout ça pour dire que la nature n'est pas (et n'a jamais été) une entité extérieure à l'humanité et que « depuis la nuit des temps » il existe des synergies. La biodiversité n'a que faire de nos distinctions arbitraires entre nature et culture ou entre naturel et artificiel. La question consiste alors plutôt à savoir de quelle manière nous pouvons interagir avec l'écosystème qui nous entoure. Et là, c'est bien de notre rapport à la nature dont il est question. La vision occidentale moderne, en excluant de notre communauté les êtres vivants non-humains parce qu'elle les considère comme inférieurs, a créé les conditions d'une mauvaise compréhension des mécanismes qui font de la Terre un paradis pour l'Homme. Par la destruction d'écosystèmes qui faisaient office de tampons biologiques et par l'appauvrissement nutritionnel des aliments que nous cultivons, nous avons tendance à fragiliser les dernières barrières entre les virus et nous. A la suite de la pandémie, les réponses ne seraient que très partielles si elles avaient pour seul objectif de s'attaquer à la mondialisation économique et renforcer le système de soin ou de tracking. Sans faire le constat que l'inflation des épidémies depuis une vingtaine d'années est l’une des conséquences de notre aveuglement face aux logiques environnementales, nous ne continuerons qu'à mettre des pansements sur nos blessures et celles que nous infligeons à tous nos colocataires terrestres et marins.

Même si je crains de prêcher dans le vide en ces temps perturbés, c'est pourquoi j’essaie à travers ce site de partager les pensées qui tentent de réinsérer l'ensemble du vivant dans notre communauté de vie. Je pense que si nous collons à la poubelle les lunettes déformantes qui nous rendent incapables de considérer les animaux et les végétaux comme nos partenaires (qu'ils habitent loin en montagne ou dans nos villes), une énorme partie du chemin sera réalisée. Le jour où il nous sera insupportable de concevoir que chaque année 100 MILLIONS de requins meurent de cause anthropique ou qu'un TIERS des oiseaux agricoles ont disparus en France sur les 30 dernières années, notre manière de percevoir le monde aura vraisemblablement changé et nous serons en mesure de comprendre tout le bien dont l'humanité est redevable à la faune... C’est tout l’enjeu de la nouvelle ère dans laquelle nous sommes rentrés, l’Anthropocène. Une notion qui fait froid dans le dos mais qu’il faut prendre le temps de se réapproprier, notamment grâce à l’excellent recueil de textes Pensez l’Anthropocène.

 

Alors si vous souhaitez sortir des oppositions stériles qui structurent encore nos représentations de la protection de la nature, je ne peux que vous conseiller de plonger dans ce livre passionnant et accessible.

 

Maxime Lelièvre

Et pour d'autres zestes de sauvage, culture et voyage...

Contre les pandémies, l'écologie ! Un excellent article du Monde diplomatique

Un recueil de 30 textes pour mieux cerner les multiples enjeux civilisationnels et philosophiques (entre autres) de l'Anthropocène, l'Aire de l'Homme

 

Retrouvez le livre sur le site de

l'éditeur La Découverte


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