Psychologie positive et écologie ; Lisa Garnier

Psychologie positive et écologie ; Lisa Garnier. Culture Max de Nature

Par cette enquête sur notre relation émotionnelle avec la nature, Lisa Garnier dépoussière une certaine écologie pouvant paraître théorique, trop éloignée des « vraies » préoccupations de la vie quotidienne, voire carrément utopique. Disons le clairement, avec Psychologie positive et écologie, on rentre dans le vif du sujet. On utilise moins de grandes idées parfois trop abstraites, mais on met le doigt sur des expériences concrètes et des données scientifiques qui attestent des innombrables bienfaits de la nature sur la physiologie, la psychologie et la sociabilité de l’être humain.

A dire vrai, il y a un petit moment que j’attendais de lire un ouvrage comme celui-ci. Quelque part, dans ma vie de tous les jours ou dans les articles que je publie sur ce site, j’ai peur de tomber dans la glorification un peu béate de la nature ou de ne prêcher que les convertis. Même si les auteurs que je tente de mettre en avant ne militent pas pour une écologie hors-sol et idéalisée, je dois avouer que, dans une société moderne où la rationalisation prévaut, la philosophie et la spiritualité doivent a minima se raccrocher à des enjeux quantifiables si elles veulent porter leur message. Grâce au travail de Lisa Garnier et des universitaires qu’elles citent, je me sens d’autant plus légitime de promouvoir un rapport plus sensible à la nature qui nous entoure. Je peux défendre avec plus d’arguments la conviction qui m’habite depuis un certain temps : la transition écologique ne pourra être efficace et riche de sens que si l’immense majorité des citoyens renouent sensiblement avec les autres êtres vivants qui peuplent nos territoires.

 

En bruit de fond, j’entends souvent opposer aux protecteurs de la nature leur spécificité. « Oui, sûrement, la nature ça fait du bien, mais chacun son truc ! Vous, les amoureux de la nature, vous allez vous promener en forêt. Mais un intellectuel va préférer la lecture d’un bon bouquin ; d’autres on besoin de se défouler, de courir en ville… »

Sauf que… les publications sur l’Anthropocène ne nous le rappellent peut-être pas encore assez, mais n’oublions pas trop vite que Homo Sapiens, durant l’immense majorité de son existence sur Terre, a vécu au beau milieu de la nature. Il n’y a qu’à peine 10000 ans que les Hommes ont commencé à se sédentariser pour cultiver ; qu’à peine quelques dizaines d’années que plus de 50 % de la population mondiale vit au sein de grandes cités quasi-intégralement coupées de l’environnement naturel. Ancrées profondément dans nos émotions et nos fonctionnements physiologiques, comment plusieurs centaines de milliers d’années d’évolution dans la nature pourraient être balayées en quelques générations de citadins « nées dans le béton » ?

Dans l’ouvrage, une tripotée d’études scientifiques montrent clairement que des « bains » de nature ont bien plus d’effets bénéfiques sur le corps que le simple fait « d’aller respirer » ou « de s’oxygéner l’esprit ». Les patients hospitalisés disposant d’une fenêtre avec vue sur des arbres guérissent plus vite que la moyenne ; les bienfaits d’une marche ou d’un footing dans un environnement boisé se révèlent plus forts que dans des rues dépourvues de végétation… Consubstantielle à notre nature d’être humain, progresser dans un milieu naturel contrebalance certaines pratiques modernes délétères pour notre santé (sédentarité, malbouffe, etc.) et baisse donc significativement des risques aussi variés que l’hypertension, le diabète ou le stress (pour ne citer qu’eux). Comme si retrouver régulièrement l’environnement naturel qui nous a modelé apaisait nos corps…

Psychologie positive et écologie ; Lisa Garnier. Culture Max de Nature

De plus, la psychologie positive nous apprend que nos émotions positives (rire, joie, sentiment du devoir accompli, etc.) sont le fruit de l’évolution. Ce capital émotif s’est perfectionné au fil du temps, a permis aux Hommes de se développer ; à l’humanité de communiquer, de coopérer. Les émotions négatives (peur, colère, etc.) ont également leur rôle à jouer, notamment dans l’appréhension du danger, mais ces dernières décennies les ont vu prendre anormalement trop de place dans nos vies. Pour beaucoup, dépression, burn-out ou anxiété sont uniquement corrélés à notre organisation sociale et du travail… mais là encore, des expériences établissent des liens forts entre émotions positives et nature.

Évidemment, un week-end en forêt ne remplacera jamais une bonne ambiance et des tâches qui ont du sens au travail ! Toutefois, le déficit de nature jouerait chez les individus un rôle prépondérant dans le développement des émotions négatives ; émotions dont l’on sait qu’elles ont tendance à être contagieuse dans l’entourage proche.

Plus parlant encore, il semble que plus la biodiversité est palpable, plus les effets sont importants. Avoir une plante en pot dans son salon, c’est un premier pas… se balader quelques heures par semaine dans un environnement où les chants des oiseaux, les insectes volants et les odeurs des arbres forment une toile sensible fourmillant de diverses formes de vie, c’est franchement bon pour le mental ! A ce sujet, Lisa Garnier cite dans sa réflexion Baptiste Morizot et son livre Sur la piste animale. Dans sa pratique ancestrale de la chasse (encore « codée » dans nos gênes), Homo Sapiens était un enquêteur, un pisteur dont les sens se mettaient au diapason pour traquer le gibier. Coupés de ces stimuli sensoriels, l’Homme moderne renie en quelque sorte sa nature… et va même jusqu’à nier, à renfort de somnifères, d’anxiolytiques et autres palliatifs, qu’interagir avec le vivant non-humain lui est indispensable pour être en bonne santé.

Songeons par exemple, sur une tout autre échelle, que le nombre de bactéries « étrangères » élisant domicile dans notre corps est très vraisemblablement supérieur au nombre de nos cellules. D’une, sans elles nous ne pourrions vivre. De deux, il apparaît qu’elles influencent nos humeurs. Autrement dit (et bien que nous pensions la maîtriser ou pouvoir s’en passer), la nature agit, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, comme un allié incontournable pour notre bien-être !

Psychologie positive et écologie ; Lisa Garnier. Culture Max de Nature

A découvrir ces études, je comprend que la nature se révèle bien plus qu’un simple « artifice » qui comble ses disciples ou ses protecteurs. Elle ne paraît pas non plus se résumer à une espèce de « médicament » miracle pour soigner nos « faiblesses ». Non, elle semble être intrinsèquement liée à notre bonne santé physiologique et psychologique.

Même si les mécanismes qui expliqueraient rationnellement les bienfaits de la biodiversité sont encore flous ; et même si l’on connaît tous quelqu’un ne mettant jamais le nez dehors mais qui pète la forme… il est indéniable que notre société sous-estime les liens constitutifs que l’humanité entretient avec les êtres vivants non-humains. Je pense, comme Lisa Garnier et beaucoup d’autres, que c’est cette sous-estimation qui conduit au bétonnage en France de l’équivalent d’un département tous les dix ans et à la relative inaction face aux dangers de l’Anthropocène. Comme la nature n’est considérée au mieux que comme un pansement nécessaire sur nos plaies, et non pas comme une véritable « cure de jouvence », on ouvre timidement quelques parcs dans les villes, on protège non moins timidement quelques espèces emblématiques (500 loups en France contre environ 2000 en Italie et 2500 en Espagne!), mais l’on n’enraye pas l’effondrement de la biodiversité.

Si l’on en prenait conscience, le milieu hospitalier réclamerait-il plus d’arbres et de papillons dans nos villes plutôt que davantage de moyens financiers et matériels ? Plus de moyens… on entend ça à tout bout de champ, 24h/24 ! Plus de moyens… donc plus d’impôts à prélever, donc plus de croissance économique à assurer, donc plus d’activités à générer, donc plus d’offenses faites à la nature, donc… plus de malades dans les hôpitaux ! Plus de moyens… en voilà une « bonne » solution contre le prochain covid. Désolé pour le cynisme, j’exagère un peu, mais engloutir des milliards et des milliards dans le curatif et les vaccins alors qu’on rechigne à injecter « quelques » centaines de millions pour lutter efficacement contre les causes principales des pandémies contemporaines (déforestation, trafic et marché d’animaux sauvages), ainsi que pour rendre nos villes et nos campagnes plus riches en biodiversité afin d’atténuer les effets des virus (plus de nature = moins de facteurs aggravant tels que les maladies respiratoires, les maladies cardio-vasculaires, etc.), c’est encore et toujours continuer de nier que nous sommes des êtres de nature.

 

Il y a encore 30 ans, la majorité de la population riait à propos de ces doux rêveurs qui promouvaient une alimentation biologique. Aujourd’hui, le biologique est entré dans les mœurs et n’est plus vécu comme une utopie. Dans moins de 30 ans, j’espère que les mouvements et les personnalités (comme Lisa Garnier et Baptiste Morizot) qui considèrent la biodiversité comme le préalable à toute politique de santé auront pignon sur rue… pour que transition écologique puissent enfin rimer avec plus de vert, de diversité biologique, d’émotions positives dans nos vies et d’égalité dans nos sociétés ! Parce que oui, la nature pour tous pourrait se révéler un puissant vecteur d’égalité : n’oublions jamais qu’elle nous offre ses services gratuitement, si tant est qu’on lui laisse la place !

 

Maxime Lelièvre

Et pour d'autres zestes de sauvage, culture et voyage...

A travers la course folle pour une certaine idée du progrès humain, les deux derniers siècles ont vu notre planète souffrir comme jamais du fait d’une unique espèce

Ou comment rentrer en empathie avec les animaux que l'on piste est de nature à changer notre rapport à la nature...

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