Une fois n’est pas coutume, j’ai lu une BD. Ça ne m’était pas arrivé depuis un moment, et je le dois aux éditions Sarbacane et à Lomig, l’auteur de l’excellent Dans la forêt. Je l’avoue, j’ai un peu traîné avant d’ouvrir l’album… pas tant parce qu’il s’agit d’une BD, mais plutôt par crainte de la lecture d’un énième récit post-apocalyptique sans saveurs. C’est que le dérèglement climatique et les catastrophes qu’il sous-tend semblent particulièrement exciter les auteurs de tous poils depuis quelques années ; mais que, si ce n’est pour le côté artistique de l’exercice, ces œuvres me laissent en général sur ma fin d’un point de vue philosophique et écologique. En gros, c’est toujours la même histoire : l’espèce humaine a détruit la Terre, la planète se « venge », l’espèce humaine ne fait acte de repentance qu’une fois qu’elle a touché le fond ! Comme si secrètement les lecteurs et spectateurs n’attendaient en fait qu’une chose : le fameux Effondrement (cela dit, ça expliquerait bien des comportements) !
Bon, mais sinon, n’y aurait-il pas un autre récit artistique possible, moins « maso-rédempteur » ? Sur la toile et dans les librairies, je le cherche… souvent désespéramment. L’heure ne semble pas aux lendemains heureux ; et « l’exigence » écologique n’est en général traité que comme un lourd fardeau sur les épaules de l’humanité. Heureusement, les japonais nous offrent de temps à autre de magnifiques récits, bien plus optimistes et portés sur la richesse des interactions entre l’Homme et la Terre, comme dans Nausicaa et Les enfants de la mer. Les japonais, donc, mais pas qu’eux… car Lomig réussi, de mon point de vue, à ne pas tomber dans les nombreux écueils du récit post-apocalyptique.
En fait, Dans la forêt n’est pas tant une histoire qui tourne autour de l’apocalypse que sur ce qu’elle pourrait nous révéler de notre « véritable » nature, intimement liée aux autres formes de vie. Les protagonistes, deux jeunes sœurs vivant dans une cabane en forêt après que leurs parents soient morts, qu’une étrange épidémie ait sévit et que le pays se soit arrêté (tiens tiens, et pourtant le livre est sorti en 2019!), endurent certes le contre-coup des bouleversements auxquels elles doivent faire face (isolement en pleine nature, agressions de vagabonds, déficit de culture…). Néanmoins, j’ai le sentiment que, dans le récit que nous fait l’auteur de l’aventure de ces deux jeunes filles, l’apocalypse est tenu en arrière-plan ; qu’elle n’est pas l’acteur principal de l’évolution des héroïnes. Non, ces deux survivantes, aussi fragiles soient-elles devant la perte de tout ce qui leur était cher (leurs parents, leurs amis, la danse), déconstruisent tant bien que mal le monde d’avant pour se sentir mieux dans le monde d’après (et pour elles il ne s’agit pas que d’un hashtag vide de sens!). Et se sentir mieux quand les supermarchés sont vides et que les voitures n’ont plus d’essence, c’est nouer un lien renouvelé avec la Terre ; avec le vivant qui vit autour d’eux depuis des années, sans qu’elles n’y aient prêté attention auparavant. Cette forme de bien-être, les deux frangines ne sont en capacité de l’éprouver qu’une fois qu’elles ont pris conscience que le monde d’avant est mort, enterré ; qu’il ne fait plus sens dans leur vie.
Ce que l’on a donc envie de croire en parcourant cette BD aux dessins sublimes, c’est que nous autres, Hommes modernes, ne sommes pas voués à flirter avec l’apocalypse pour changer notre rapport au monde. Même si d’un point de vue scénaristique il semble qu’il faille passer de toute façon par l’effondrement (et Dans la forêt n’y coupe pas), il apparaît ici que le changement est avant tout une affaire de prise de conscience. Les sœurs sont certes poussées par les circonstances, mais elles trouvent surtout en elles-mêmes et dans les relations avec la forêt l’envie et l’énergie de vivre autrement… Remplacez « les sœurs » par « la société française », et une grosse partie de nos inquiétudes pour l’avenir disparaîtrait. Comme le dit si bien le philosophe Arne Naess, que je lis en ce moment-même, « prendre soin de la planète devient une source de joie, et non plus seulement quelque chose qu’on fait pour survivre ».
C’est pour ses bonnes ondes, ainsi que sa magnifique couverture, que Dans la forêt (accompagné de Permacité la ville de mes rêves, des éditions Sarbacane également) figure en bonne place dans la bibliothèque d’Izon Nature !
Maxime Lelièvre
Et pour d'autres zestes de sauvage, culture et voyage...
Un chef d’œuvre de l'animation japonaise, magnifique visuellement et poétisant notre rapport au monde vivant
Peut-être le meilleur film de Miyazaki, et certainement celui qui ouvre le plus bel horizon écologique
Un bel album pour petits et grands, sur l'utopie (qui devrait ne plus en être une) d'une ville connectée au monde vivant
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