Atlas de l'Anthropocène ; Presses de Sciences Po

Atlas de l'Anthropocène ; Presses de Sciences Po. Culture Max de Nature

C'est tout simplement un livre que chaque citoyen devrait avoir chez lui. Ou au moins que chaque classe, du primaire à l'enseignement supérieur, devrait laisser à la disposition de ses étudiants. Pas plus cher qu'une scratch map (carte du monde à gratter selon ses voyages) reflétant sur le mur notre narcissisme de globe-trotteur et bien moins onéreux qu'un globe rétro-éclairé qui laisse la Terre vide de sens, l'Atlas de l'Anthropocène nous plonge dans une myriade de cartes qui donnent corps à notre planète... et à son état inquiétant !

 

Alors que depuis une quinzaine d'année les médias nous « bassinent » avec le réchauffement climatique et font du climat l'alpha et l'oméga de la question environnementale (même si ça change petit à petit), cet excellent document dresse le portrait quasi-exhaustif des enjeux auxquels l'humanité doit faire face si elle veut garder la Terre aussi accueillante que depuis 12000 ans. La fin de la dernière glaciation a ouvert une période « bénie des dieux », l'Holocène ; période dont le climat et l'état de la biodiversité a autorisé Homo Sapiens à faire évoluer son mode de vie jusqu'à celui que nous connaissons aujourd'hui.

La domestication animale et végétale, l'agriculture et l'élevage qui en a résultés, la colonisation de tous les milieux terrestres ; puis il y a quelques siècles, dans une petite partie du monde, l'avènement de la Modernité par l'intermédiaire de sciences qui se sont à la fois appuyées et extraites de la nature... tout ce que l'humanité connaît d'évolutions lentes et de révolutions depuis des millénaires, elle le doit à son intelligence, certes, mais aussi et surtout aux conditions exceptionnelles qui règnent sur Terre. Peut-être qu'à force de gratter méthodiquement nos scratch map et de contempler nos globes, comme si la planète nous appartenait, nous avons une forte tendance à l'oublier.

Atlas de l'Anthropocène ; Presses de Sciences Po. Culture Max de nature

Comme le font justement remarquer les auteurs François Gemenne et Aleksandar Rankovic, si l'on résumait l'histoire de l'Univers à une année, Homo Sapiens ne naîtrait que le 31 décembre à 23h48 ; les Lumières et l'industrialisation (l'avènement de la modernité) dans la toute dernière seconde de l'année... Alors je vous souhaite à tous une bonne année ! Bienvenue en l'an 2 ! Bienvenue dans l'Anthropocène (anthropos pour homme), cette nouvelle aire qui voit l'Homme bouleverser en un clin d’œil les grands équilibres terrestres sur lesquels reposent son extraordinaire évolution.

L'Atlas de l'Anthropocène nous révèle avec brio, à l'aide de textes courts, de cartes et de graphiques clairs et parlants, que l'an 1 s'est refermé sur un dernier clin d’œil qui a vu (ou plutôt éclipsé) la disparition de milliers d'espèces, l'effondrement du nombre d'animaux sauvages, l'explosion des pollutions atmosphériques, marines et terrestres, la multiplication des événements météorologiques extrêmes, la destruction de millions d'hectares de milieux naturels, etc.

De grâce, profitons de cette nouvelle année pour que, individuellement et collectivement, nous prenions de bonnes résolutions. Profitons de cette prise de conscience planétaire pour éviter que la planète perdent des milliards de vies humaines, animales et végétales. Profitons des toutes premières secondes de cette nouvelle année pour lutter contre une dramatique uniformisation culturelle et biologique sur Terre.

Atlas de l'Anthropocène ; Presses de Sciences Po. Culture Max de Nature

L'Atlas, comme le reconnaissent les auteurs, n'axe pas ses illustrations vers les solutions pour faire de l'Anthropocène une période de nouveau propice à un dialogue plus fécond entre l'humanité et l'environnement naturel. Néanmoins, la mise en perspective de toutes ses composantes (climat, biodiversité, pollutions, démographie, politiques) permet de dégager des enseignements globaux, de mettre en relation une multitude de phénomènes... là où malheureusement l'Anthropocène est souvent résumé, dans les médias et les discussions politiques (au sens large), au dérèglement climatique ou éclaté en différentes problématiques qui font difficilement sens pour le commun des mortels. Dès lors, et ce même si elles ne sont pas détaillées, les bonnes résolutions pour inverser les mauvaises tendances parlent presque d'elles-même.

A mon avis, l'Atlas de l'Anthropocène fait donc figure de formidable outil pour mieux comprendre le monde auquel nous prenons tous part. Je le conseille vivement, parce que pour pouvoir réfléchir au monde dans lequel on souhaite vivre, il me paraît au préalable primordial de commencer par mettre du sens sur les forces qui le traversent. Mais évidemment, afin de ne pas rester abasourdis par tant de malheurs, il faudrait adjoindre, en complément de ce traitement cartographique, des récits qui interrogent la place de l'Homme sur Terre et ses relations au vivant non-humain. C'est d'ailleurs plutôt mon dada sur ce site. Du roman Les racines du ciel au recueil de textes Pensez l'Anthropocène, en passant par les films d'animation Les enfants de la mer et Nausicäa de la vallée du vent, de merveilleux auteurs nous permettent de prendre le recul nécessaire pour appréhender en profondeur, et avec plus de sérénité, notre rapport problématique avec l'environnement naturel. Parce que le danger avec la seule mise en exergue de l'Anthropocène comme un agrégat de problèmes « techniques », ce serait de ne pas voir qu'ils ne sont « que » des symptômes des dysfonctionnements écologiques de nos sociétés humaines.

Atlas de l'Anthropocène ; Presses de Sciences Po. Culture Max de Nature

     Pour conclure, j'en viens donc au « léger » souci que connaît l'humanité depuis deux mois. Certainement que s'il avait été publié en 2021, une page sur les épidémies aurait garni l'Atlas car la pandémie actuelle semblent bien être l'une des dimensions de l'Anthropocène. En effet :

 

     1. il est admis scientifiquement que les épidémies se multiplient depuis quelques années en raison de la destruction des habitats naturels (les barrières naturelles et biologiques entre l'Homme et les animaux sauvages porteurs de virus se réduisent à peau de chagrin, voir cet excellent article)

2. on commence à faire de plus en plus le lien entre nos modes de vie et le « succès » d'un tel virus (industries agro-alimentaires = malbouffe = obésité, hyper-tension, etc. = très forte surmortalité du Covid)

3. il devient évident que le déclin de la biodiversité dans la nature et dans notre alimentation amène un déclin de notre biodiversité interne (aliments génétiquement et nutritivement pauvres + excès de l'utilisation d'antibiotiques = microbiote défaillant = fragilisation de nos défenses immunitaires)

 

Prendre conscience que ce qu'il nous arrive aujourd'hui n'est « qu'un » des nombreux symptômes de l'Anthropocène (et donc lier à l'empreinte de l'humanité sur la Terre), ce serait assurer une réponse à cette crise qui soit globale, à long terme ; une réponse qui fasse sens. A l'avenir, j'espère que les mesures contre les épidémies ne vont pas se résumer à augmenter le nombre de lits, de tests, de masques, de mesures de distanciation sociale... Parce que lutter contre leurs causes profondes, écologiques, ce serait du même coup donner un grand bol d'air à l'ensemble de l'humanité et de ses colocataires sur Terre. Prendre des mesures collectives et adapter ses comportements individuels pour lutter contre la déforestation, l'agriculture extensive et intensive basée sur les pesticides, la malbouffe, les transports polluants et autres maux contemporains, ça reviendrait aussi à prendre en considération les 8,8 millions de morts dans le monde, chaque année, liées aux diverses pollutions atmosphériques (67000 rien qu'en France!). Et je ne parle « que » des pollutions atmosphériques...

 

Maxime Lelièvre

Et pour d'autres zestes de sauvage, culture et voyage...

Un recueil de 30 textes pour mieux cerner les multiples enjeux civilisationnels et philosophiques (entre autres) de l'Anthropocène, l'Aire de l'Homme

 

Une plongée fascinante, visuelle, sonore et spirituelle dans le monde des océans, en compagnie de 3 adolescents japonais hors du commun... Un magnifique film d'animation pour adulte !

 

Retrouvez le livre sur le site de l'éditeur des Presses de Sciences Po


Écrire commentaire

Commentaires: 0