L'homme a mangé la Terre ; Jean-Robert Viallet

L'homme a mangé la Terre ; Jean-Robert Viallet. Culture Max de Nature

« L’homme a mangé la Terre ». A travers la course folle pour une certaine idée du progrès humain, les deux derniers siècles ont vu notre planète souffrir comme jamais du fait d’une unique espèce… au point que de nombreux scientifiques considèrent que nous sommes rentrés dans une nouvelle aire géologique : l’Anthropocène, ou l’aire de l’Homme.

Le titre du film (accessible librement sur Arte.tv) est on ne peut plus évocateur. Des débuts de la révolution industrielle au Royaume-Uni jusqu’à la mondialisation actuelle, en passant par la toute puissance des Etats-Unis, le documentaire (à renfort d’images d’archive rares) met en lumière la succession incroyable de découvertes technologiques, dont les développements militaires et civils ont puisé inlassablement dans les ressources naturelles.

Vous me direz, on connaît l’histoire : déforestation, extraction du charbon et du pétrole, démocratisation de la voiture et de la maison individuelles… et donc hausse de la concentration de carbone dans l’atmosphère, épuisement des ressources et effondrement de la biodiversité ! Alors à quoi bon appuyer encore et encore sur le couteau que nous a déjà planté dans le cœur une myriade de rapports scientifiques et de documentaires ?

 

C’est que l’intérêt de celui-ci réside essentiellement dans la portée historique de l’Anthropocène ; et en fait par la même un merveilleux complément aux ouvrages tels que Pensez l’Anthropocène et Atlas de l’Anthropocène. Devant sa télévision ou son ordinateur (purs produits de l’Anthropocène!), on assiste en accéléré à l’implacable marche de l’Histoire sur les 200 dernières années ; on assiste impuissant aux choix passés, aux choix politiques, scientifiques, industriels et collectifs qui nous acculent aujourd’hui face à un mur qui semble infranchissable ; on assiste incrédule aux grandes manifestations contre la voiture en ville dans les Etats-Unis des années 30, contre le rachat et l’abandon des lignes de tramway par un consortium industrialo-mafieux ; on assiste éberlué au discours du président Carter, à la fin des années 70, sur l’urgence de mettre un frein au système consumériste qui détruit la planète et qui ne rend pas les humains plus heureux ; on assiste en fait pendant 1h30 à une succession de « solutions » technologiques et sociales nourrissant trop souvent en retour plus de problèmes qu’initialement… jusqu’à la conclusion qui interroge les « solutions » contemporaines, autrement dit les révolutions électriques et numériques.

C’est la question que je me pose souvent quand j’entends l’immense majorité des politiques et des industriels « vendre » la voiture électrique ou la dématérialisation (télétravail, applis en tout genre, etc.) comme les clefs miraculeuses d’un avenir plus vert : très dévoreuses de matériaux rares et d’énergie, ces nouvelles technologies ne sont-elles tout simplement pas la nouvelle chimère de notre siècle, la croyance renouvelée dans une croissance infinie et porteuse d’un progrès non raisonné ? Une croyance qui dure depuis 200 ans… une croyance me faisant penser que nous ne tirons pas les bonnes leçons de l’Histoire, que nous n’apprenons pas à nous débarrasser de notre rapport problématique avec le paradis terrestre qui nous accueille !

 

« L’homme a mangé la Terre ». Non, en réalité, l’homme mange la Terre et va continuer à la manger. Comment pourrait-il en être autrement quand on voit que même une crise d’une ampleur inédite comme celle du Covid ne débouche sur aucune remise en cause profonde de notre mode d’existence ?

Désolé pour le pessimisme… Mais il reste encore à espérer que l’homme ne mangera pas la Terre pour de bon, qu’il laissera quelques miettes aux générations futures et aux autres êtres vivants… et que de ces quelques miettes, dans quelques décennies, renaîtra un monde plus juste pour toutes les formes de vie.

 

Maxime Lelièvre

Et pour d'autres zestes de sauvage, culture et voyage...

L'excellent atlas des Presses de Science Po pour cerner les multiples dimensions de l'Anthropocène, l'aire qui voit l'humanité remettre en cause la viabilité de la vie sur Terre

Un recueil de 30 textes pour mieux cerner les multiples enjeux civilisationnels et philosophiques (entre autres) de l'Anthropocène, l'Aire de l'Homme

Jusqu'au 7 juillet 2020, retrouvez le documentaire en accès libre sur Arte


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