Habiter en oiseau ; Vinciane Despret

Habiter en oiseau ; Vinciane Despret. Culture Max de Nature

Habiter en oiseau ! En voici une drôle d’idée… qui pourrait pourtant se révéler fort inspirante ! En effet, et quand bien même elle ne nous propose pas d’élever nos progénitures dans un nid, Vinciane Despret invite à s’inspirer des manières d’être au monde de nos amis à plumes, pour repenser notre rapport au monde. Ou comment observer les oiseaux serait de nature à « déconfiner » notre pensée…

 

Toutefois, je dois bien avouer que j’ai eu un peu de mal à rentrer dans le livre. Contrairement à Baptiste Morizot et Alexandre Lacroix, « philosophes de terrain » qui, dans Sur la piste animale et Devant la beauté de la nature, s’appuient beaucoup sur leurs expériences personnelles, Vinciane Despret évoque peu ses relations avec les animaux. La philosophe parle d’un « objet » qu’elle laisse, à mon avis, trop à distance de sa réflexion… à l’exception des excellents passages pendant lesquels un merle vient chanter dans son jardin. Mais bien qu’il ne soit parfois pas très évident à suivre (enfin pour moi…), l’essai n’en reste pas moins très intéressant car sortant clairement des sentiers battus.

Habiter en oiseau ne traite pas tant de la faune aviaire, de ses modes de vie, que de la façon dont les ornithologues ont de l’observer. Alors au-delà des connaissances distillées ici et là, c’est surtout la mise en perspective de notre manière d’étudier les oiseaux qui s’avère la véritable richesse du livre. Plutôt que de voir et d’écouter les oiseaux comme de « vulgaires machines » qui défendent un territoire en répondant à des instincts primaires dictés par la nécessité de manger et de se reproduire, l’auteure, en convoquant certains chercheurs inspirés, tend à mettre en lumière quantité de significations qui pourraient se cacher derrière leurs comportements (chants, postures agressives, etc.) « sous-estimés ».

 

Pour cela, c’est essentiellement à travers la notion de territoire que Vinciane Despret déconstruit nos « vieilles » représentations. En effet, comment comprendre la territorialisation chez les oiseaux quand nous projetons encore sur eux nos conceptions modernes du territoire, quand nous résumons ce dernier à l’appropriation sur une durée déterminée d’une parcelle de terre exclusive ? Comment comprendre les oiseaux quand nous nous représentons le territoire exclusivement comme une zone « à défendre » ou « à attirer les femelles » ?

Pour certains ornithologues, il a fallu sortir de ces schémas pour esquisser d’autres hypothèses sur la socialisation entre oiseaux. En nuançant certains préjugés sur les animaux, ils ouvrent la porte à d’autres modalités d’observation, à d’autres sensibilités au vivant non-humain. Chaque oiseau est unique, comme l’est chaque humain. Chacun son caractère, son histoire, ses relations aux autres, ses propres attaches à un territoire… Ainsi, comme le présente l’éditeur : « Et si ces manières n’étaient que du spectacle, des parades dont personne n’est vraiment dupe ? Et si ce n’était qu’un jeu, pour faire semblant ? Et si l’on prêtait attention au fait que les territoires sont toujours collés les uns aux autres ? Ne seraient-ils pas, alors, une façon pour les oiseaux de continuer à vivre ensemble en étant autrement organisés ? »

Vous l’aurez compris, il ne s’agit pas non plus de bercer dans l’anthropomorphisme ou de désormais « sur-estimer » les oiseaux, mais plutôt au contraire de poser un œil nouveau sur leurs comportements et une oreille attentive sur leurs chants pour mieux comprendre leurs manières singulières d’être au monde. Comme le reconnaît Baptiste Morizot en postface, on n’entend plus les oiseaux avec la même oreille après avoir lu Vinciane Despret. Chaque chant devient une invitation à écouter un individu à part entière ; à rentrer en empathie avec un être qui ne s’exprime pas seulement par instinct, mais peut-être, selon la saison de l’année, pour séduire une partenaire, alerter des congénères de sa présence, faire la démonstration de sa santé, nouer des relations avec ses voisins...

D’aucuns penseront que tout ceci semble bien accessoire ! Cependant, je me demande ce que signifierait une approche écologique du monde sans une attention accrue aux autres vivants qui peuplent nos territoires humains ? Comment cohabiter en bonne intelligence avec des voisins que l’on ne comprend qu’à moitié, voire pas du tout ? L’écologie, de mon point de vue, ne peut se résumer à une approche technique faite de graphiques, de chiffres, de seuils… Cela reviendrait à calquer sur le monde sauvage notre vision rationnelle (et donc quelque peu restrictive), pourtant par essence en dehors de ce champ. Un peu comme l’approche rationnelle de l’organisation du travail contemporaine qui engendre toujours plus de burn-out alors même que les conditions s’améliorent, une conception exclusivement « froide » de la préservation de l’environnement aurait toutes les chances d’être vide de sens.

Alors écoutons les oiseaux ; non seulement pour la beauté intrinsèque de leur chant, mais aussi pour voir l’environnement comme une infinité de relations, de manières d’être au monde… et donc pour ouvrir nos esprits et nous inspirer de toute cette altérité qui vit autour de nous ! Faire « l’effort » d’imaginer que les Autres (humains comme non-humains) n’agissent pas forcément selon les logiques que nous leur prêtons, en voilà une belle porte d’entrée vers une écologie chargée de sens, non ? Comme le dit si bien Patrick Boucheron, cité dans le livre, « l’imagination est une forme de l’hospitalité, en ce qu’elle nous permet d’accueillir ce qui, dans le sentiment du présent, aiguise un appétit à l’altérité ».

 

Maxime Lelièvre

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Ou comment rentrer en empathie avec les animaux que l'on piste est de nature à changer notre rapport à la nature...

S’il y a bien un livre qui m’a inspiré pour la création de ce site internet, c’est celui-là. « Et si la révolution écologique passait par l’émerveillement ? »

Retrouvez le livre et l'excellente collection Mondes Sauvages sur le site de l'éditeur Actes Sud


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